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Le journalisme citoyen à l'assaut de l'info

Le public est de plus en plus associé à la production de l'information mais ne se substitue pas à l'expertise journalistique.
par Frédérique Roussel
publié le 20 août 2007 à 9h15
(mis à jour le 20 août 2007 à 9h15)

Comme depuis le début de l'été, Libération revient sur les nouvelles tendances. Cette semaine, enquêtes, reportages et entretiens pour décrypter les enjeux du journalisme citoyen.

Tous journalistes ? La participation du public à la fabrique de l'information est désormais jalonnée de faits d'armes : le tsunami en Asie du Sud-Est de décembre 2004, les attentats de Londres le 7 juillet 2005, le coup d'Etat en Thaïlande en septembre 2006. Grâce à des passants présents sur les lieux, des images de ces événements ont été prises à chaud et diffusées sur les sites de journaux ou sur les chaînes de télévision. «Il s'agit de gens ordinaires qui sont témoins de choses extraordinaires et qui les partagent», commente Leonard Brody, fondateur de NowPublic, un site participatif basé à Vancouver, et qui vient de lever 10,6 millions de dollars (lire page 4).

Hoquets. L'essor des nouvelles technologies a donné la possibilité aux citoyens d'être à l'avant-scène et de participer à l'information. Tout un chacun peut s'exprimer via un blog, prendre des photos et des vidéos avec son portable caméra de poche, et les envoyer au monde entier. La masse est devenue un immense réservoir de «contenu», tout en représentant un ­formidable pouvoir de consommation. Principe incarné par NowPublic qui, créé en 2005, fédère aujourd'hui 127 000 «reporters» dans 140 pays et dans plus de 4 000 villes. «Nous avons compris qu'il y existait un besoin pour un nouveau type d'agence de collecte, d'organisation et de distribution pour cette information», explique Leonard Brody, qui n'hésite pas à claironner qu'il souhaite faire de NowPublic la première agence de presse au monde. Reuters doit en frémir.

Le journalisme participatif, en tant que témoignage, ne date pas d'hier. Reste exemplaire le film de l'assassinat de Kennedy, qui avait été tourné par un amateur, l'américain Abraham Zapruder. Mais un attirail technologique facile à utiliser a permis la croissance de ces apports et l'avènement de plaques tournantes participatives. Il y a désormais une histoire du journalisme citoyen qui s'est donné Ohmynews comme ancêtre. Lancé en février 2000 en Corée du Sud, Ohmynews est un portail web où les citoyens du monde entier peuvent soumettre leurs articles. Succès à l'envi, puisqu'il est alimenté aujourd'hui par 50 000 reporters, de l'étudiant en passant par la mère de famille ou l'expert en environnement. Le phénomène sud-coréen, qui peut enregistrer jusqu'à un million de visites par jour, a fait des petits. Premier du genre en Europe, Agoravox s'est lancé en mai 2005, sous les auspices de la société de veille parisienne Cybion. Au bout de deux ans, et à la faveur de la présidentielle française propice aux envies des gratte-papier, Agoravox enregistrait 1,2 million de visiteurs. Au Québec, un cousin s'y est également mis en mai 2006, baptisé CentPapiers (lire page 4).

Mais la génération spontanée de journaux citoyens en ligne a connu quelques hoquets. Aux Etats-Unis, on scrutait avec intérêt Assignment Zero, que le magazine de nouvelle technologie Wired avait pris sous son aile. Il était initié par Jay Rosen, ex-reporter et professeur à l'université de New York, chef de file du concept de «journalisme citoyen» dès les années 80 aux Etats-Unis. Au bout de six mois, l'expérience s'est arrêtée. Dans un long ­bilan, Jay Rosen explique les raisons d'un semi-échec. «Ce que nous avons appris, écrit Rosen, c'est qu'il faut être plus clair dans ce qui est demandé aux contributeurs. Les communautés doivent être cultivées, ­respectées et habilement contrôlées pour créer ensemble de la valeur économique.» A méditer.

De cette courte histoire du journalisme citoyen en action promise à de plus amples développements, que retenir? Tout le monde ne peut s'improviser journaliste. Le contenu produit sur Agoravox tient beaucoup du commentaire et de la paraphrase. «On a d'abord essayé d'apporter des solutions avec les wiki enquêtes et plus récemment en lançant des nouvelles enquêtes citoyennes qui sont coordonnées par un expert ou un journaliste professionnel», avance, plein d'espoirs, Carlo Revelli, le fondateur d'Agoravox, qui signale au passage que l'on trouve énormément d'opinions et de synthèses de dépêches dans les médias traditionnels.

«Encadré». Pas facile non plus de canaliser la fibre citoyenne. Le mot d'ordre chez Rue89, fondé par des anciens de Libé et lancé le 6 mai, jour du second tour de la présidentielle : le «participatif encadré». On n'y désespère pas de faire grimper la contribution du troisième cercle (1. les journalistes ; 2. les experts ; 3. les citoyens) qui représente aujourd'hui à peine un tiers de la production mise en ligne. Mais l'équipe du site, qui a reçu 400 000 visites en juin (un bon score), est pleine de détermination, lance une version 2 en septembre et songe local en débutant par Lyon comme ville test.

Enseignement majeur de cette frénésie citoyenne : le journaliste doit être plus à l'écoute du public. Evolution incontournable s'il veut survivre à l'ère du numérique. Ces derniers temps, les médias sont devenus plus attentifs aux témoignages citoyens, à l'instar de CNN ou du New York Times lors de l'ouragan Katrina aux Etats-Unis. La manne citoyenne représente aussi la promesse de pages vues sans rien débourser.

Les médias traditionnels commencent à ouvrir aux contributions «profanes» des espaces «maîtrisés». Ainsi du quotidien espagnol El Pais depuis avril : «Si tu as été témoin d'une nouvelle quelconque, envoie-la et nous la publierons. [.] Aujourd'hui les lecteurs d'Elpais.com se transforment en journalistes.» Pour l'immense majorité, ce sont des envois de photos auxquelles sont joints des commentaires : une image qui dénonce des encombrements sur le périphérique de Madrid un 15 août, une autre qui fustige les milliers de bouteilles cassées après les fêtes de Vitoria, au Pays basque. D'autres projets participatifs s'affûtent au Monde, à Libération et sans doute ailleurs. En quête de la formule. «Le journalisme était linéaire. Désormais, il est en réseau, constate Jeff Howe, journaliste et blogueur. Il était dans la main de quelques-uns. Aujourd'hui, il est dans les mains de beaucoup plus.»

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