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Libération

Le nouveau mobile de Xavier Niel

Le fondateur de Free, parfois décrié pour ses méthodes de cow-boy, devrait obtenir la quatrième licence de téléphonie portable.
par Catherine Maussion
publié le 20 décembre 2009 à 9h37

Devinette ! Que va donc faire Xavier Niel, au lendemain de sa victoire, après avoir décroché la quatrième licence 3G ? Partir au ski, avec ses enfants…

Comment ? Le fondateur de Free, 42 ans, douzième fortune française (1), prendrait du champ, irait dévaler des pistes vierges, à peine décroché le sésame ! C’est mal connaître le patron de Free -- il est vice-président du conseil d’administration, directeur général délégué à la stratégie --, que de l’imaginer buller. A 16 ans déjà, en classe prépa, il créé avec ses potes de Créteil des petits sites minitel perso en bricolant depuis un Apple. Il fait double journée, en cours le jour et sur son ordi la nuit. Ses à-côtés rapportent beaucoup à l’étudiant de famille modeste. Qui lâche la prépa pour le 3615 et le minitel rose. Il crée, vend, achète des sociétés et fait grossir sa pelote. Très tôt, ses manières de cow-boy lui valent quelques citations au pénal. Avec la création de Free, il trouve son Graal : une sorte de montagne à gravir. Et, avec la quatrième licence, c’est un sommet plus haut encore qui se profile. Que du bonheur, à l’en croire.

D'ailleurs, avant même l'annonce du résultat, il a constitué sa société, la énième, dédiée au mobile. C'est une spécialité de la maison, de créer autant de sociétés que de défis à affronter. «Cloisonner une entreprise en autant de boîtes, ça, on n'avait jamais vu !» raconte Christophe Scaglia, le délégué syndical central CFDT (41% des voix). Il y en a une pour l'immobilier, une autre pour les assurances, une autre pour la Freebox, une autre pour la fibre optique, une autre pour les techniciens itinérants (800). Et même trois pour les salariés de la hot-line : Centrapel, Protelco, Total Call… «Iliad [maison mère de toutes les activités, ndlr] est un groupe où on trouve une très grande intelligence à tous les niveaux» , analyse le syndicaliste. D'ailleurs, dit-il, «nos experts se sont cassé les dents». Les experts ? Le cabinet mandaté par les syndicats pour fouiller les comptes lors du rachat d'Alice, - près d'un millier de salariés et 850 000 abonnés à Internet. Ils n'avaient jamais vu ça. Exemple, cet organigramme en «rateau». Un chef et, en-dessous, tous les salariés sur la même ligne. «Nous, on se disait qu'ils nous prenaient pour des cons, qu'ils faisaient leurs trucs en sous-marin…» En fait, conclut le syndicaliste, «ils font juste les choses en prenant le contre-pied des autres» . Xavier Niel en fait un motif de fierté : tout faire soi-même, en interne. Même la hot-line. C'est d'ailleurs un point d'honneur pour lui : les 4 000 emplois créés depuis 1999, et la naissance de Free. Mieux que SFR, dit-il toutes proportions gardées.

Parano, le patron ? «Le groupe Iliad, oui, c'est la parano aiguë. Ils ont la trouille que leurs projets soient connus des concurrents. C'est comme si tout l'univers leur était hostile. Même nous, dans nos locaux, il y a des endroits où c'est confidentiel défense !» dit un salarié. L'UFC-Que Choisir est sur la même ligne : «Niel, il gère tout seul. Il a même des secrets pour des gens très proches. Un tel culte du secret ça dénote une profonde parano.» Cette paranoïa, on la revendique haut et fort au sommet d'Iliad ! La firme aime par-dessus tout qu'on la compare à Apple, où le verrouillage est poussé à l'extrême. «Combien de personnes étaient dans le secret de l'iPod, ou de l'iPhone ?» lance Niel, adepte des équipes très restreintes et très motivées, à ceux qui s'étonnent de tant de précautions. En tous cas, chez Free, quand il y a des microfuites et que seules huit personnes sont au courant, on comprend, à demi-mot, que ça chauffe un peu. Le secret de la réussite est là aussi : dans le cercle restreint des fidèles, on trouve les cinq fondateurs toujours aux postes.

Parano et procédurier, Niel est un sanguin. Quand on l’attaque, quand on use d’un terme fort, quand on relate ses démêlés judiciaires, on se prend une baffe, - cela s’appelle un procès en diffamation. Libération, qui a suivi son procès en 2004 pour une affaire ancienne et sans lien avec Free, a eu sa part : quatre fois poursuivi pour diffamation et quatre fois relaxé. Pour mémoire, Xavier Niel avait été condamné pour «recel d’abus de biens sociaux».

A L'UFC-Que Choisir, les joutes judiciaires laissent aussi un souvenir cuisant : «On avait traité Free d'autiste, parce qu'il ne répondait pas à nos injonctions» , se souvient Edouard Barreiro, porte-parole de l'organisation, et vlan, voilà Alain Bazot, son président, accusé par Free de diffamation. Ce code de l'honneur un peu particulier, du genre œil pour œil, dent pour dent, Niel le revendique. Quand on fait allusion à sa vivacité, il balance : «Moi je ne laisse pas les injures impunies.» Et il rappelle que Free a gagné trois fois contre l'UFC pour procédure abusive. En interne aussi, ses salariés correspondent par tribunaux interposés : «C'est la boîte qui me prend le plus de temps. Ils sont hyperprocéduriers» , soupire Laurence Barma, à la fédération des télécoms de la CFDT. «Il a fallu aller au tribunal pour obtenir un local syndical pour Centrapel» , renchérit Xavier Burot de la fédération CGT des sociétés d'études.

Niel, négrier d'Internet, ou chasseur de syndicalistes ? Ce serait verser dans la caricature. «Non, ils sont plutôt très francs, très directs» , raconte celui qui était en première ligne au moment du plan social, après le rachat d'Alice. A la première réunion, les syndicalistes ont failli tomber de leur chaise : «Ils nous ont balancé, directs, et sans tourner autour du pot, qu'ils voulaient licencier 320 personnes» , soit presque tout l'encadrement d'Alice. Ce fut, au final, 319 salariés. Et quand le délégué a réclamé un local syndical, Free a acheté un vaste appartement à deux pas du siège de Free, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Mais la société s'est réservé un coin au rez-de-chaussée pour installer un local technique dont elle avait besoin. Chez Free, aucun geste n'est jamais gratuit. De même celui qui bosse vite et bien est récompensé. «On peut se faire jusqu'à 1 000 euros de primes, en sus du smic, par mois» , assure un délégué CGT. A faire pleurer les soutiers de Teleperformance… Il pourrait même faire mentir ceux qui jurent qu'il achètera chinois pour son futur réseau à cause des économies.

Est-ce parce qu'il ne fait rien comme tout le monde que Niel dérange ? Sarkozy, dont on dit qu'il lui ressemble par certains côtés, a bien tenté de lui faire barrage. Pour protéger Martin Bouygues, assure-t-on. Pas seulement. Niel - 2,6 milliards d'euros de fortune personnelle -, fait figurer dans ses bonnes œuvres les sites d'informations d'opposition : Mediapart, Bakchich. Et il veut que cela se sache. Xavier Niel, c'est un peu la revanche contre les copains et les coquins. Ce serait un peu court de dire qu'il n'a pas de réseaux, lui qui n'est sorti d'aucune grande école.Il a ceux des communautés d'Internet. Edouard Barreiro n'en revient pas encore de ces «tombereaux de mails d'insultes» , qu'il vient de recevoir de «ses "fanboys"» parce que l'association a osé attaquer Free pour ses clauses opaques.

Et puis qu'on se le dise, Niel avec ses jeans troués, comme Free avec sa box d'enfer, n'ont pas envie d'être lisses. «Vous pouvez écrire qu'on est odieux, mais pas insipide.» Ça, c'est l'injure ultime !

(1) D’après le classement Challenges 2009

Paru dans Libération du 18 décembre 2009

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