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Libération

Le savoir en balade

par Frédérique Roussel
publié le 4 février 2008 à 2h12

Autres temps, autres médias. Le Collège de France, dont la devise dit «enseigner la recherche en train de se faire», sait employer les moyens à ses propres fins d'accès à la connaissance. Depuis février 2007, l'institution a sacrifié aux nouvelles technologies en proposant ses cours en podcast. L'internaute peut les télécharger sur le site (1), s'y abonner et les écouter sur son baladeur.

L'initiative peut paraître d'emblée incongrue pour un établissement fondé en 1530 sous l'égide de François Ier. La liste de tous les professeurs qui ont occupé une chaire respire le sérieux (qu'en penseraient Simon de Malmedy, professeur de philosophie grecque et latine disparu en 1584, ou le poète du XIXe Charles-Augustin Sainte-Beuve ?) et son compagnonnage avec le dernier cri numérique ne lasse pas d'interroger. Le podcast répond pourtant à l'exacte vocation du Collège de France : la diffusion libre et gratuite, pour un public curieux de savoir en dehors des lieux académiques habituels.

«Beaucoup d'entre nous ne savaient pas ce qu'était le podcast, reconnaît Pierre Corvol, 66 ans, administrateur du Collège de France, titulaire de la chaire de médecine expérimentale. Chemin faisant, nous avons appris.» A voir les jeunes générations se servir à l'envi de «baladodiffuseurs», il a pensé que ce pourrait être un vecteur de diffusion plus large des cours. L'idée a suscité l'enthousiasme d'une partie des professeurs, de plus en plus nombreux à accepter de mettre leur voix en ligne. Si, à sa fondation, le Collège comprenait trois ou quatre chaires (hébreu, grec, mathématiques), il en compte aujourd'hui cinquante-deux, plus quatre annuelles tournantes (création artistique, internationale, européenne, innovation technologique). Ainsi, de onze titulaires prêts à passer sur Internet en live, ils sont vingt-six cette année, plus de la moitié.

Fidèles. Et c'est un succès indéniable. Un million de cours ont été téléchargés les sept premiers mois, 132 000 sur les trois premières semaines de janvier. «Nous répondions sans le vouloir à une vraie demande», explique Pierre Corvol, qui constate qu'il existe désormais un volant d'auditeurs fidèles. Certains cours connaissent même des fréquentations inespérées. C'est le cas de «La question de Palestine à partir de 1967» d'Henry Laurens, titulaire de la chaire d'histoire contemporaine du monde arabe : 8 000 téléchargements à «l'unité». «Morales de Proust», donné par Antoine Compagnon en littérature française moderne et contemporaine, qui a démarré le 8 janvier, tutoie les mêmes chiffres. Le cours du philosophe Jacques Bouveresse (»Qu'est-ce qu'un système philosophique ?») est aussi très téléchargé.

Pour une matière a priori aride - la médecine expérimentale -, Pierre Corvol se félicite d'avoir eu près de 3 400 auditeurs virtuels (2). Du coup, il a appris à tenir compte de cette nouvelle diffusion : «Je fais attention en donnant mes cours à ne pas parler des images ou des schémas que je montre en amphi. Il y a une nécessaire dissociation du parler et du montrer.»

Vidéo. Avec le podcast, la fréquentation du Collège a été décuplée par rapport aux centaines d'auditeurs qui viennent physiquement place Marcelin-Berthelot, dans le Ve arrondissement parisien où se trouve le Collège de France depuis plus de deux cents ans. «Cette institution unique en son genre a un énorme avantage, c'est d'être située au milieu du Quartier latin ; et un énorme inconvénient, c'est d'être situé au milieu du Quartier latin», s'amuse Gérard Berry, qui vient de province et occupe cette année la chaire d'innovation technologique Liliane Bettencourt (une mécène). Avec lui, l'informatique entre dans les lieux pour la première fois, avec un cours intitulé «Pourquoi et comment le monde devient numérique» (3), également en vidéo sur le site. Car l'ambition est de se servir de plus en plus de l'image capable de rendre compte des transparents et autres power point.

Ces nouveaux services ont été rendus possibles par une rénovation de l'établissement, impulsée en 1998. Cette année-là, une régie a été installée au-dessus de l'amphithéâtre Marguerite-de-Navarre de 430 places. Elle peut enregistrer cinq sources en même temps, mais se sent déjà à l'étroit. Le Collège de France peut enfin donner au monde entier et rendre pérenne les enseignements oraux de ses illlustres professeurs, en regrettant peut-être les voix perdues in situ de Pierre Bourdieu ou de Georges Dumézil.

(1) www.college-de-france.fr/

(2) Ses cours, et d'autres sont également diffusés sur France Culture.

(3) Sa leçon inaugurale vient de paraître chez Fayard.

Pour aller plus loin :

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