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Libération

Les webséries cherchent leur modèle

par Manuel RAYNAUD
publié le 16 octobre 2009 à 17h05

Depuis l'apparition d'une certaine Lonelygirl 15 , première websérie à succès, qui diffusait en juin 2006 ses aventures sous la forme de confessions sur Youtube, les webséries ont progressivement changé de visage. Les possibilités techniques offertes par l'arrivée du haut débit couplées aux processus d'encodage de l'image de plus en plus fins leur ont ouvert de nouvelles voies. Bien que la grande majorité d'entre elles soient auto-produites et réalisées avec des bouts de ficelle, certaines commencent en France à creuser leur sillon dans la sphère professionnelle. Mais à quel prix ?

Porte-feuilles poids plume

Car si les ambitions des créateurs se sont décomplexées, celui qui met la main à la poche reste encore bien souvent le même. Ou presque. Les chaînes et les plateformes vidéos comme Dailymotion déplacent à tâtons leurs premiers pions. Youtube a dégainé la première en mai 2007 en signant un accord pour qu'une poignée de créateurs bénéficient d'une rémunération issue des revenus publicitaires.

En France, Dailymotion se préfère un rôle de médiateur comme nous l'explique Marc Eychenne, responsable des contenus de l'hébergeur vidéo français : «On organise leur promotion, on leur réserve de la visibilité sur la page d'accueil et on met en place une programmation» Quant au partage des revenus publicitaires ? Cela peut arriver mais c'est rare. «En revanche, on essaye de leur trouver des sponsors en associant une marque à leur programme ajoute-t-il. C'est beaucoup plus rémunérateur.» Mais pour l'instant, pas de quoi en vivre.

L'un des autres écueil des webséries est, paradoxalement, l'accessibilité. Sans campagne de communication ou d'un bouche à oreille à l'efficacité aléatoire, elles se noient dans la masse. «On va sortir un portail qui permettra de recenser l'ensemble des webséries et d'en faciliter leur visionnage. Il devrait être lancé avant la fin de l'année» , annonce Marc Eychenne qui espère, par cette initiative, déblayer le terrain. Un engagement en écho à deux initiatives francophones récentes, Anyfilm.tv et Citymoviz.tv , qui ont vu également une opportunité de fédérer autour de ces programmes.

«L'antichambre de la fiction grand format»

Côté télé, le problème est différent. Le petit écran subit une désertification progressive de sa jeune audience qui lui préfère Internet (1). «Une chaîne télé ne peut plus compter que sur son antenne pour exister. Elle doit s'inscrire dans une logique cross-média pour récupérer une partie de cette audience» , commente Gilles Galud, qui produit, à la tête de La Parisienne d'Images, Les Films Faits à la Maison et la Nouvelle Trilogie, deux créneaux horaires de Canal+ réservés aux jeunes auteurs.

Le 19 octobre, il lancera Kali , websérie déclinée en douze volets de six minutes chacun, qui se destine au site de la chaîne cryptée. Canal+ n'en est pas à son premier essai dans le domaine. Depuis plusieurs mois, elle diffuse sur son site Mylène et son garçon et le Kaïra Shopping . Cette dernière était d'ailleurs sélectionnée au festival de la fiction TV à La Rochelle.

«On est aux prémices d'un grand bouleversement et les webséries sont l'une des nombreuses composantes , affirme Gilles Galud. Elles peuvent être l'anti-chambre de la fiction grand format. Ça fait 6 ans qu'on fait Les Films à la Maison et on se rend compte de la créativité des auteurs. En les encadrant, avec des producteurs et des scénaristes professionnels, il est possible d'en tirer le meilleur parti.»

C'était le projet d'Arte quand ils ont réalisé Twenty Show . D'abord initiée sur Internet, cette websérie proposait le quotidien de cinq personnages fictifs qui racontaient leurs déboires à travers des pastilles vidéos publiées sur Myspace. Les internautes étaient invités à réagir en proposant leurs propres réponses en vidéo. Au final, un docu-fiction de 70 minutes, comprenant certaines de ces réponses, a été monté puis diffusé sur la chaîne franco-allemande.

Chemins de traverse

Pour l'instant, il ne s'agit que d'initiatives isolées. Qu'il s'agisse de simples amateurs ou de producteurs déjà implantés dans le milieu, certains ont également voulu expérimenter leur propre modèle économique, accouchant parfois de séries hybrides, dédiées au web mais pas uniquement.

MakingProd, la maison de production de Putain de série , mise à la fois sur une diffusion multi-support (téléphone mobile, Internet et télévision) mais aussi sur du placement de produit. Pour le site du quotidien de La Provence, qui a lancé FB One l'année dernière et Brèves de Marseille cette année, c'est un système de parrainage qui a été préféré. Les sponsors locaux, d'Orange à McDonald's en passant par la Ville de Marseille, financent ainsi la production. D'autres encore comptent sur les ventes des DVD et sur l'iTunes comme le Dr. Horrible qui a servi d'exutoire à Joss Whedon, créateur de la série Buffy contre les vampires , lors de la grève des scénaristes américains début 2008. Ou encore The Guild , autre websérie US qui, à sa sortie en DVD, lui a permis d'atteindre le top 20 des meilleures ventes sur Amazon.

Et puis certains obtiennent même une seconde chance. C'est le cas des Aventuriers de 8h22 . Pour un budget de 150 000 euros, ses créateurs ont eu l'opportunité de reproduire intégralement la série, diffusée une première fois sur le web, quand CAP24 et Lyon-TV se sont associés au projet. Les chaînes locales peuvent même faire figure de bon compromis quand elles unissent leurs forces. Télénantes coproduit les sept premiers épisodes de Litiges, série imaginée par François Bégaudeau, auteur du film Entre Les Murs . A l'horizon 2010, cette série pourrait même être diffusée sur une trentaine de chaînes locales. S'il ne s'agit pas d'une websérie à proprement parler, c'est une nouvelle voie qui s'ouvre progressivement aux scénaristes en herbe.

(1) En 1997, les 15-24 ans consacraient 18 heures à la télévision contre 16 heures en 2008. Lire l'étude (pdf) «Les pratiques culturelles des Français à l'ère numérique Éléments de synthèse 1997-2008» (Olivier Donnat, oct. 2009).

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