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Libération

Le streaming, avec ou sans filtre

par Bruno Icher
publié le 8 décembre 2011 à 12h05

En déclarant la guerre au streaming, Nicolas Sarkozy a voulu remplir deux objectifs. Il s’est montré offensif sur le terrain culturel, pas exactement son domaine de prédilection, et il laisse entendre que le premier volet de la mission Hadopi appartient déjà au passé. Il applique en cela la bonne vieille méthode consistant à ouvrir un nouveau chantier, déclenchant ainsi un feu d’artifice de débats passionnés, tout en faisant oublier que le précédent n’en est qu’au gros œuvre.

Cette nouvelle offensive contre la consommation illégale de films et de séries fait évidemment plaisir à bon nombre de professionnels, en France comme aux Etats-Unis, où plusieurs projets de loi sont en discussion. Il a même déclenché quelques actions. Dans la foulée du discours présidentiel, trois syndicats français, l’Association des producteurs du cinéma, la Fédération des distributeurs de films et le Syndicat de l’édition vidéo numérique ont assigné les principaux fournisseurs d’accès pour tenter de limiter l’usage du streaming.

Or, cette promesse de bagarre qui fait suite à celle sur le téléchargement n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les auteurs que ces initiatives prétendent défendre. En s’attaquant aux usages du Net, le Président et les professionnels de l’image s’engagent dans une bataille perdue d’avance. Même si les dispositions les plus sévères étaient prises, posant quand même la question d’un flicage systématique un peu gênant, il est acquis que d’autres systèmes échappant aux verrous apparaîtront, avec toujours un léger coup d’avance sur les institutions chargées de défendre un système obsolète.

Dans ces colonnes, le réalisateur Joe Dante se désespérait du fait que le cinéma américain privilégiait majoritairement les films à budgets colossaux, de type Harry Potter , ou ceux à budgets dérisoires, comme Paranormal Activity , au détriment de ceux à budgets moyens ou modestes. Cette tendance, qui se durcit d'année en année, s'appuie sur le fait que les «films du milieu», pour reprendre le terme de Pascale Ferran, seraient ceux qui souffriraient le plus du téléchargement illégal ou du visionnage en streaming. Ce qui constitue bel et bien la preuve que ces films, modestes, bizarres ou à contre-courant d'une production standardisée, intéressent quand même beaucoup de monde et pas uniquement en raison de leur gratuité. Un des nombreux paradoxes d'une ère du numérique face auxquels l'industrie cherche encore la parade.

Paru dans Libération du 7 décembre 2011

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