Le streaming, passion nordique au long cours

par Sophian Fanen
publié le 22 février 2012 à 12h53

Bienvenue au royaume du streaming musical. En deux ans à peine, la Norvège et la Suède ont vu leurs marchés musicaux transformés par cette nouvelle technologie propulsée par deux acteurs omnipotents: le suédois Spotify , lancé en octobre 2008 dans les deux pays (et en France), et le norvégien Wimp , ouvert au public en 2010 et depuis cantonné aux trois pays scandinaves.

En ce début d'année 2012, un Norvégien sur dix et 85% des Suédois âgés de 16 à 25 ans utilisent Spotify de façon ordinaire, tandis que le piratage se tasse sensiblement dans les deux pays. «Le streaming représente déjà à lui seul un tiers des revenus de la musique en Norvège» , commente Per Einar Dybvik, le PDG de Wimp, rencontré pendant le festival By:Larm , qui reprend là des chiffres fournis par la Fédération internationale de l'industrie phonographique (Ifpi).

La stratégie de Spotify, d'après Aren'tYouAlex-Spencer? , CC BY SA

Au-delà de ces chiffres, ce qui marque en débarquant à Oslo, c'est l'acceptation massive du modèle du streaming qui, en France, reste une option à côté du téléchargement et du CD. En Norvège comme en Suède, la musique s'écoute déjà avant tout via Spotify et Wimp, voire Deezer qui vient tout juste de s'y lancer. «Une donnée importante de ce succès rapide, estime Daniel Ursin Haugen, chargé des nouveaux médias pour EMI Norvège, c'est l'extrême pénétration du Web et des smartphones. D'après les derniers chiffres, 92% des Norvégiens sont connectés. Surtout, une particularité du pays, c'est que nous passons un temps fou dans nos chalets, dans la nature. Du coup, les opérateurs télécoms ont dû très tôt assurer une très bonne couverture du pays entier en 3G.»

En ajoutant un niveau de vie très élevé et des partenariats efficaces avec des opérateurs de téléphonie ou de télévision câblée, on comprend pourquoi des services comme Spotify et Wimp ont vite trouvé leur public face au Store d’Apple, dont la vision, fondée sur des achats à la carte, semble ici dépassée. Mais cela n’explique pas tout: en France aussi, payer entre 5 et 10 euros par mois pour un accès infini et mobile à une base musicale de plus de 19 millions de titres ne semble pas une mauvaise affaire, et les smartphones sont aussi très présents. Et pourtant, le streaming doit encore faire ses preuves.

«Quand la Suède a fait une loi contre le piratage [en 2009, ndlr], nous avons eu aussi un grand débat en Norvège, détaille Erik Brataas, patron de Phonofile, le plus important distributeur nordique indépendant. Plus qu'une loi, qui finalement ne règle rien, ce qui a été crucial, c'est de tomber d'accord pour dire que le modèle du streaming est le bon. Nous, labels indépendants, avions peur au début. On ne voyait pas ce qu'on pouvait en tirer. On a discuté et on a fini par comprendre. Du coup, notre position légitimise Spotify ou Wimp pour le public. On lui envoie un message cohérent en disant : "le streaming c'est cool, allez-y." »

Wimp fonctionne sur le même modèle que Spotify, à partir d'un logiciel à télécharger, mais met l'accent sur l'éditorial comme le fait Deezer en France.

Tandis qu'en France, le débat a été confisqué par le thème «le piratage tue les artistes» aux dépens de la valorisation d'alternatives positives, la Scandinavie cavale avec une bonne année d'avance en tentant de construire une nouvelle économie viable autour du streaming. Un monde où tout est sensiblement différent. «C'est un modèle violemment démocratique, puisqu'un auditeur peut accéder aussi facilement à la musique d'un gros label que d'un petit indé, avance Daniel Ursin Haugen, d'EMI Norvège. Il faut se battre sur la qualité, on n'est plus à l'époque du CD avec une seule bonne chanson sur un album entier.»

Erik Brataas, de Phonofile, tempère cette vision. «C'est une vraie chance pour les indépendants, puisqu'on touche des gens auxquels on n'avait pas accès auparavant. Mais la difficulté, c'est le changement dans la façon dont les revenus se répartissent désormais. Avec un CD, vous faites 90% des revenus espérés sur un album en six mois. Avec le streaming, il y a un processus de recommandation et d'échanges entre internautes qui fait qu'un disque a une durée de vie d'un an, voire de dix-huit mois. C'est donc plus difficile dans les premiers temps.»

La France et les autres gros marchés européens, comme l’Allemagne et le Royaume-Uni, vont-ils embrasser le modèle défriché dans ces pays laboratoires ? Toutes les personnes rencontrées à Oslo le pensent, et s’étonnent que ce ne soit pas déjà fait.

Paru dans Libération du 21 février 2012

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