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Portrait

Le téléphone à pleins volumes

Spécialisé dans les innovations pour téléphone portable, le Franco-Belge François Grimonprez a inventé une nouvelle technologie de compression et se lance dans l'offre de livres sur mobile.
par Frédérique Roussel
publié le 17 juin 2006 à 21h27

L'accent le trahit, même s'il aligne les mots anglais. François Grimonprez, 40 ans, de père belge et de mère française, est né et vit à Bruxelles. Son truc, c'est le téléphone portable pour lequel il tisse du sur-mesure dans sa petite société prénommée Flow. Dernière trouvaille, les livres. Il avoue ne pas être un grand lecteur, même si Spinoza en édition La Pléiade traîne sur son bureau. C'est un pur hasard. Spinoza se trouve aussi dans son portable mais, franchement, ce n'est pas sa tasse de thé. Le philosophe cohabite avec Dostoïevski et ses Frères Karamazov, Perrault et Rimbaud. Il y a aussi un inédit, Panache en panaché, de François Grimonprez, un digest maison d'extraits de Proust, Molière et Cyrano de Bergerac, destiné aux tests. Au total, Grimonprez dispose dans sa poche d'une bibliothèque de «septante» titres. Proposer des livres sur portable, c'est le dernier pari de son fonds de commerce. Fin 2004, il a conçu une nouvelle technologie, TXM (1), qui compresse fortement les données et permet de réduire le million de caractères du Tour du monde en quatre-vingts jours (soit un mégabyte) à 400 kilooctets, téléchargeables en vingt secondes.

Ramener de la littérature à du poids plume numérique paraît réducteur. Ce qui motive Grimonprez, c'est de créer des contenus dans un marché en plein essor. En 2002, «on s'est dit que le nouveau trend allait être le téléphone avec écran couleur que tout le monde aurait en main.» Cette année-là, après une orientation web douchée par l'éclatement de la bulle, sa société va draguer au salon Mobile Entertainment à Londres avec les premiers minois de MiniFizz (2).

A la différence des classiques compactés, les MiniFizz, personnages féminins destinés à animer les portables des filles, donnent dans le glamour. «Un utilisateur de mobile sur deux est une femme, fait remarquer Grimonprez. A l'époque, on ne pensait qu'aux jeux et ce monde était contrôlé par les hommes. Pour les femmes, dans le meilleur des cas, on repeignait en rose l'existant.» L'idée est d'aller à contre-courant des girls bands style Spice Girls. De créer une multitude de filles, mignonnes bien sûr, passionnées et qui ne se contentent pas d'exister dans le regard des mecs. Sa compagne, la créatrice Sabine Allaeys, veut aller contre les stéréotypes véhiculés dans les jeux vidéo. Le slogan à l'emporte-pièce de Grimonprez : «On laisse aux Etats-Unis les action heroes et au Japon le manga style.» Pour lui, le plus glamour dans l'univers créateur tient dans l'axe Paris-Milan, là où les femmes sont belles, élégantes et intelligentes. Les MiniFizz feront un tabac à Londres et séduiront Siemens.

Depuis, plusieurs jeux sont nés. Dans le premier, MiniFizz Mission, la joueuse télécharge une aventure qu'elle va partager avec la MiniFizz de son choix. Et, pendant quatre jours, elle va suivre ses péripéties en temps réel en entrant en communication avec son héroïne. Les MiniFizz arrivent en France courant juillet dans un channel du portail SFR.

C'est grâce à ces personnages que TXM a vu le jour. En développant une application du jeu vidéo, «on a découvert qu'on pouvait rendre possible le livre sur le téléphone». Grimonprez s'efforce d'accroître le nombre de livres disponibles. Toujours dans un train entre Bruxelles et Paris, jonglant avec douze téléphones portables («il m'en faudrait 300 modèles pour tester la compatibilité»), il tente de convaincre les éditeurs de lui confier leurs livres sous droit ou les bonnes feuilles d'un roman qui sort en librairie. «Mais ils ont été échaudés par la folie du e-book», explique-t-il. TXM existe sur Orange Belgique et, en septembre, sera en France dans la galerie SFR-Orange, portail commun à tous les opérateurs via la société française Cityneo.

Franchement, lit-on Don Quichotte sur un portable ? Grimonprez reconnaît que la taille d'écran n'est pas idéale. «Mais quand je bulle, dans la salle d'attente chez le médecin, dans le métro, je peux me dire : "Tiens, je vais me lire quelques poèmes d'Apollinaire."» Pour lui, c'est un killertime (tueur de temps). La relation des jeunes à leur portable, qui le manipulent sans arrêt pour se donner une contenance, abonde dans son sens. Surtout, il cite l'Asie qui a foncé dans la lecture mobile. Des centaines de mangas sont téléchargés au Japon sur des dizaines de milliers de GSM. Qui sait si, demain, ce ne sera pas le cas de Spinoza ?

(1) www.txmplayer.com

(2) www.minifizz.com

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