Bourre-Paf

Le tout petit «Grand Journal» de Pourriol

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 19 avril 2013 à 19h06

«Générique dans trente secondes… - Hé, Michel, tu l'as vu ? - Quoi ? - Hé ben mon cul ! Top générique. Boum, bam-boum-bam, zwing-zwing, pouet-pouet-pouet-pouet, pouet, pouet-pouet ! HouuuaaaAAAAHHHH. Bienvenue au Grand Journal où nous recevons ce soir Ollivier Pourriol, mais d'abord voici Nabilla. Dans un instant, la pub, puis Ollivier Pourriol, mais avant la météo et puis le Petit Journal. Salut PPD. Ding, ding, ding-dong, salut à tous, dans le Petit Journal ce soir, nous avons compté les silences d'Ollivier Pourriol, mais d'abord les fans de Justin Bieber, à vous Daphné et Michel. Bonsoir Ollivier Pourriol, vous publiez On/Off, première question : est-ce que vous ? Mais tout de suite la Boîte à questions : kikoo Ollivier Pourriol, es-tu capable de te lécher le coude en direct ? Boum, bam-boum-bam, zwing.» C'est, en à peine accéléré et pas beaucoup plus exagéré, ce qu'aurait donné un Grand Journal recevant son ancien chroniqueur Ollivier Pourriol qui, dans le livre On/Off et en 353 pages, dézingue son ex-employeur. Bien sûr, le traître a été invité par la so magnanime production du Grand Journal. Bien sûr, il a décliné, la lecture de ses 353 pages expliquant parfaitement pourquoi il a préféré ne pas.

«Comme un duel»

Mais si, voyons : le mec tout triste de l'an dernier dans le Grand Journal. Celui qui ne disait jamais rien, lèvres pincées, œil noir, semblant reprocher à tout le monde d'être là, lui y compris, l'air éternellement méfiant, campant, pour le téléspectateur, sa mauvaise conscience. Celle qui, perchée tel un corbeau sur son épaule, lui souffle : «T'as pas autre chose à faire que de regarder cette vaine arène ?» Oui : Ollivier Pourriol, philosophe de son état, romancier, conférencier. Un intellectuel, quoi. Mais un intellectuel bien ahuri pour penser que le Grand Journal était côté coulisses aussi cool, aussi sympa qu'à l'écran. «Mais ils sont venus me chercher pour ce que je suis, plaide-t-il allongé sur le divan du Dr Garriberts. Je ne pensais pas exister pour eux : j'ai pensé que j'allais pouvoir faire ce que je leur ai proposé, ce qu'ils avaient accepté.» Et c'est ce malentendu que raconte Pourriol dans On/Off, dévoilant l'arrière-cour pas bien reluisante de l'émission-vitrine de Canal + : «Ils m'ont fait peur, ils m'ont fait mal, à la fin ils m'ont fait rire, explique-t-il à Libération. Ça demandait réparation, comme dans un duel.»

«Respire le livre»

C'est en train de devenir un genre littéraire en soi : le livre de déception post-Canal. Guillaume Durand, Sophie Fontanel… Mais celui de Pourriol, d'un autre niveau et inspiré du Tromperie de Philip Roth, n'est que dialogues. Avec ses amis qui se pâment de le voir arriver là, avec l'équipe du Grand Journal, avec des cadres de la chaîne… Le résultat, qui rappelle précisément l'empilement violent et l'art du montage du Zapping de Canal +, est cru et cruel. Impossible, explique Pourriol à un réd chef adjoint, d'avaler les 600 pages du livre imposé pour le lendemain : «Mais tu ne comprends pas. Personne ne te demande de le lire. - Comment tu veux que je conseille un livre que je n'ai pas lu ? - Tu peux le respirer, le livre.» Ah. Il y a cette autre technique. Question de Pourriol : «Mais tu ne lis jamais les livres ?» Réponse anonyme (Denisot ? Aphatie ? Un autre ?) : «Si. Toujours. La première page, la dernière page et la page 100.» Et pourquoi la centième ? «Quelqu'un qui arrive à la page 100, c'est qu'il a lu le livre.» Fallait y penser. Et puis voilà Pourriol se piquant d'aborder à l'antenne cette lecture de Desnos, Vian et Prévert par Jean-Louis Trintignant. Et pis quoi encore, s'insurge un rédac chef adjoint : «Non non non, c'est impossible. - Pourquoi impossible ? - Parce que, enfin. On ne parle pas des poètes morts !»

«Enchaîne»

Il y a l'oreillette aussi, d'où la régie intime ses ordres alors même que Pourriol est en train de parler : «enchaîne», «trop long», «c'est trop long, il faut finir», «c'est fini !», «donne-lui le livre». Car c'est une jungle que décrit Pourriol. Une jungle où règne le «superprédateur» Michel Denisot, «celui qui peut bouffer tout le monde […] Mais que personne ne peut bouffer» : «On balance des chroniqueurs à proximité du superprédateur et on regarde qui s'en sort.» Une jungle où chacun, sur le plateau, croûte sur la parole de l'autre : «Il ne faut pas réfléchir avant de parler, sinon quelqu'un parle avant toi», explique une chroniqueuse à Pourriol. «Directement de ta tête à ta bouche. Et encore. Directement de ta bouche, c'est mieux.» Mot d'ordre : plutôt «passer pour une conne» que «passer pour une muette». Parler creux pour remplir le vide.

«Sois moins intelligent»

Mais Ollivier Pourriol n'y arrive pas. Celui à qui on demande d'être «soluble dans l'ADN de l'émission» et «un peu moins intelligent» se retrouve vite «dans un état de sidération permanent». «Je pouvais subir cette violence, dit-il aujourd'hui, mais je ne pouvais pas y participer.» Exutoire hilarant : voilà Pourriol et André Manoukian - oui, notre Dédé est aussi le sien - en train de déprimer sévère en voiture après un Grand Journal avec Marine Le Pen particulièrement calamiteux. Pour se remettre, les deux envoient du gros son sur l'autoradio : le «R comme Résistance» de l'Abécédaire de Gilles Deleuze. Boom, boom, boom.

Plus ça va, plus ça se gâte entre Pourriol et ses sympathiques employeurs qui passent des remontrances aux menaces à peine voilées («On peut aussi supprimer ta chronique si tu veux»), avant de le gommer trait à trait. A la fin de la saison, il décrit le désastre à un proche : «Si j'arrive à en placer une, je ne suis pas à l'image, on reste en gros plan sur l'invité. Je suis l'homme invisible. La voix off de l'émission.» C'est bientôt la fin pour celui qui se décrit comme «l'emploi fictif le mieux payé de France». Un ami tente de le consoler : «Tu es entré comme un intrus dans un monde pour lequel tu n'étais pas fait. La baleine t'a recraché.» C'est fini. Pendant les temps morts de l'émission - ils le sont tous -, Pourriol s'occupe, un carnet à la main. Ça inquiète ses futurs ex-collègues qui pensent qu'il prend des notes pour écrire un livre sur eux. En fait, sur son carnet, Pourriol dessine des requins.

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