«Left 4 Dead 2» prend aux tripes

Shoot . Valve sort aujourd’hui pour PC et Xbox 360 le deuxième épisode de ce jeu de tir en réseau. Test en milieu infecté dans les locaux du studio américain.
par Erwan Cario, envoyé spécial à Seattle
publié le 18 novembre 2009 à 0h00

Soudain, une voix retentit dans la salle : «Boomer ! Boomer !» Panique. Non, pas de panique, il faut rester concentré, ne pas se faire avoir par l'ambiance pesante et embrumée des marécages de Louisiane, la nuit. Il faut vite se débarrasser de ce Boomer. S'il arrive à déverser ses tripes sur un des quatre survivants, c'est toute la horde d'infectés qui leur tombe dessus. L'écran se voile. Et merde, il a réussi. Les hurlements qui montent, au loin, ne laissent pas de place au doute. Ils sont des dizaines à se ruer vers le groupe, attirés par l'odeur putride. Il va falloir résister. Et survivre. Encore. Il faut s'y faire, c'est l'essence même de Left 4 Dead 2.

pieds-de-biche. Au dixième étage d'une tour siglée «Bank of America», semblable à tant d'autres, au cœur de Bellevue, banlieue de Seattle fade comme un quartier d'affaires, se trouvent les bureaux de Valve. Avant de croiser un solide gaillard avec un tee-shirt Counter Strike dans l'ascenseur, difficile de croire que l'on se rend dans un des studios les plus inventifs et les plus influents de la dernière décennie.

Le dixième étage, donc. Une fois arrivé, plus de doute possible. Des posters un peu partout, une grande cafét' avec tout ce qu'il faut en libre-service et surtout quelques pieds-de-biche accrochés au mur ici et là. C'est devenu le symbole de Valve depuis Half Life, en 1998, et son héros, Gordon Freeman, qui devait se débrouiller avec cette arme de fortune quand les munitions se faisaient rare. Half Life a révolutionné le genre du FPS (pour first person shooter, jeu de tir en vue subjective). Par son approche narrative d'abord : un scénario béton mis en place grâce à des dialogues que le joueur peut choisir d'ignorer. Valve a compris que le plus important n'est pas l'histoire que veut raconter le développeur, mais celle que raconte le joueur,une fois la partie terminée. Surtout, Half Life a permis la naissance de Counter Strike, le jeu de tir en ligne le plus joué.

A peine arrivé, direction la salle de jeu. Visite du studio ? Rencontre des dirigeants ? On verra plus tard. Chez Valve, on imagine mal qu’un journaliste puisse avoir fait la moitié du tour du monde pour autre chose que jouer, avec quinze jours d’avance, au petit dernier. Comme si le jeu se suffisait en lui-même, comme s’il était porteur d’un discours bien plus fort que tout ce que pourrait raconter un des rouages qui a permis sa venue au monde. C’est sans doute vrai.

en apnée. Left 4 Dead 2 est un jeu apocalyptique dans lequel quatre personnages, dirigés par quatre joueurs en réseau, doivent traverser des niveaux remplis d'infectés, créatures zombiesques touchées par une maladie mystérieuse. C'est une simple évolution du premier épisode, sorti l'année dernière, qui a posé les nouvelles bases du jeu de tir en coopération. Le but : aller d'un point A à un point B. Mais ce n'est pas de tout repos. Au contraire ! Entre les rares endroits sécurisés (les «safe houses»), ce sont pratiquement des séquences en apnée, sans répit. Tout est fait pour. Jusqu'à l'intelligence artificielle, baptisée «le réalisateur», qui décide du déclenchement des séquences fortes en fonction du comportement et du talent des survivants. A chacun son propre film.

Huit PC en réseau, pas une seule console. Même si le jeu sort aussi sur Xbox 360, c'est à la souris et au clavier que Left 4 Dead 2 se savoure. Valve est en effet un des derniers piliers du jeu PC (avec Blizzard et son World of Warcraft) qu'il soutient activement grâce à sa plateforme de téléchargement Steam. Pour beaucoup, le PC, sur le déclin depuis quelques années face aux consoles de dernière génération, est le seul support qui permet de jouer un peu sérieusement.

On a envie de leur faire avouer que Valve est l'un des derniers gardiens du temple du jeu vidéo originel. Celui où il faut apprendre, où il faut s'entraîner consciencieusement avant d'espérer vaincre. Le jeu fait pour l'élite des joueurs : les hardcore gamers. Mais c'est impossible. Doug Lombardi, vice-président, n'en démord pas : «Nous faisons des jeux pour tout le monde. C'est dangereux de vouloir se limiter à une certaine catégorie. Mais si vous faites les choses bien, les hardcore gamers achèteront votre jeu. Un bon jeu est un bon jeu.» Ici, on se voit plutôt comme les artisans d'une «manufacture du fun».

Désormais, dans la salle de jeu, quatre développeurs sont là pour qu'on puisse essayer le mode «versus» dans lequel d'autres joueurs prennent le contrôle d'infectés spéciaux, comme le Boomer suscité. A les voir jouer, on comprend. Ces quatre-là ne sont pas en corvée de relations presse, ils sont ici pour profiter de ce qu'ils ont accompli. «Allez ! Allez ! On avance !», «Jolie charge !», «Suivez-moi !» : ce sont eux les plus impliqués. Leur jeu maintenant terminé, ils sont joueurs avant tout.

Boycott. A l'annonce de la sortie de Left 4 Dead 2, ce fut une bronca d'une rare violence. Un numéro 2 un an seulement après le premier ? Intolérable. Là où le fan d'un jeu de football réclame son dû chaque année, les gamers, eux, veulent profiter longtemps de leur investissement initial (en argent comme en temps). Protestations et menaces de boycott, tout s'est finalement réglé en faisant venir les leaders du mouvement au studio. «C'est un vrai jeu à part entière, explique Doug Lombardi, et ils l'ont compris. En fait, cette histoire nous a confortés. S'ils s'impliquent autant, c'est qu'ils tiennent à nous et qu'ils aiment nos jeux.» Ce n'est peut-être pas Valve qui est un studio pour hardcore gamers, mais l'inverse : ces derniers sont devenus avec le temps ses plus fidèles partisans.

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