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Libération

Les 007 du 06

par Christophe Alix
publié le 18 mars 2010 à 11h14

L'espionnite via le mobile, c'est très mal mais qu'est-ce que c'est tentant… Dans un récent sondage TNS Sofres pour le compte de l'Association française des opérateurs mobiles (Afom), 80% des personnes interrogées s'offusquaient que l'on puisse espionner les SMS, les messages ou le journal d'appels de ses proches. Ce qui n'empêchait pas plus d'un Français sur quatre (27%) de reconnaître qu'ils avaient déjà cédé à cette peu glorieuse tentation. Le gros souci, c'est que ces apprentis espions risquent d'être de plus en plus tentés. Plus besoin d'attendre que son conjoint soit sous la douche pour fouiller en catimini son mobile. Voici venu le temps de petits logiciels en vente sur la Toile pour quelques centaines d'euros, et parfois moins, qui permettent de surveiller à distance un mobile en écoutant les conversations, interceptant les SMS et les courriels. Avec quelques références en la matière, repérées par le Parisien (du 8 mars) : MM-Pro (300 euros) du suisse Promibs et le pack Spyphone vendu sur Espion-on-Line , un site français basé en Irlande. Installer ces mouchards n'est pas encore totalement un jeu d'enfant, mais il est clair que ces outils hier très onéreux et réservés aux e-007 de l'écoute mobile sont sur la voie d'une démocratisation. Tour d'horizon de ces espions du 06.

Comment ça s’installe ?

Pour pouvoir espionner un mobile, il est indispensable de l’avoir eu en main le temps de lui fourguer le mouchard. Si les services secrets et les polices du monde entier savent comment pirater un mobile à distance, en général avec la collaboration active de l’opérateur, il n’est pas possible pour un particulier d’y parvenir autrement qu’en installant dans la machine un logiciel dont on prendra ensuite soin d’effacer toute trace dans les menus. Cela peut, par exemple, parfaitement se concevoir lorsque c’est l’entreprise qui fournit le téléphone à ses collaborateurs. Conçus pour les smartphones (téléphones intelligents) comme l’iPhone, les Blackberry et plus généralement tous les mobiles disposant d’un minidisque dur (un bon tiers des ventes en France en 2010), ces logiciels nécessitent parfois quelques manipulations un tantinet techniques pour pouvoir fonctionner. Dans le cas des iPhone, il faut d’abord «jailbreaker» (déverrouiller) le mobile afin qu’il puisse accepter le programme. Opération délicate mais que certaines boutiques exécutent facilement moyennant finance. Dans le cas d’autres «environnements» plus ouverts, comme pour les téléphones fonctionnant sous les systèmes Symbian (Nokia) ou Windows Mobile, les protections sont moindres et l’opération moins complexe.

Que peut-on espionner ?

Tout ou presque. Une fois installé, il suffit de paramétrer le logiciel en indiquant le numéro de l’espion-récepteur qui peut à tout moment être modifié à distance. A chaque fois que le mobile infiltré compose un numéro ou est appelé, un SMS invisible est envoyé vers le mobile espion. Le téléphone piraté peut même servir de micro pour espionner en direct des conversations à distance. D’ailleurs il est devenu courant, lors de réunions de haut niveau dans les secteurs dits «sensibles» (défense, nucléaire, etc.), d’exiger des participants qu’ils posent leur téléphone sur la table en ôtant les batteries des appareils. Les utilisateurs de ces mouchards disposent également d’espaces de stockage en ligne sur lesquels sont archivés conversations, sms et autres traces des cibles espionnées.

À qui s’adressent ces logiciels et où les trouve-t-on ?

Ils visent en premier lieu le marché des entreprises mais plus généralement toute personne désireuse d'espionner son prochain. «Vous avez des doutes sur votre entourage, vos enfants, votre conjoint, vos collègues… Et bien grâce à ce logiciel vous saurez tout» , proclame le site Itraque en vantant le fait que ses programmes sont utilisés par «l'élite des organismes d'application de la loi tels que la CIA et le FBI» . Classieux. En tapant «téléphone espion» sur un moteur de recherche, on accède à un grand nombre de sites ayant pignon sur Web et qui n'hésitent pas dans certains cas à en rajouter pour appâter le client. «Savoir où il/elle est allé(e) grâce à l'enregistreur GPS Q1000» , promet l'un d'eux. Le site suisse Promibs , un des leaders du secteur, se présente carrément comme «la solution ultime en gestion de téléphones mobiles» . On veut bien le croire sur parole… Quant à GSM Espion, basé en Irlande, il propose une «gamme passionnante de logiciels de sécurité» , y compris des programmes anti-espions afin «d'éviter qu'un mouchard téléphonique installé à votre insu puisse venir espionner votre vie privée» . Autrement dit l'antidote à son propre logiciel ! Trop fort…

Sont-ils légaux ?

Si ces logiciels ne sont bizarrement pas interdits à la vente, l'utilisation de ces outils est en revanche sévèrement réprimée la loi. Les marchands invitent d'ailleurs les clients à se «conformer à toutes les lois et à toutes les règles applicables dans le pays où vous utilisez les produits» et le cas échéant «à consulter un avocat».

En France, le code pénal punit d'une peine pouvant aller jusqu'à un an de prison et 45 000 euros d'amende le fait de «capter, enregistrer ou transmettre sans le consentement de leurs auteurs des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel» . Le seul cas dans lequel la surveillance à distance d'un mobile ne semble pas illégale concerne l'espionnage de ses propres enfants mineurs. Dans le cas des entreprises, s'il n'est pas interdit d'installer des outils de surveillance dans les ordinateurs ou les mobiles des employés, les employeurs ont en revanche l'obligation d'en informer leurs salariés en toute transparence.

Cette espionnite se limite-t-elle aux mobiles ?

Non et le phénomène est plus ancien d’ailleurs dans le cas des ordinateurs, avec une palette d’outils et de programmes bien plus large. De manière générale, l’explosion de l’offre high-tech s’accompagne d’une recrudescence des gadgets en tous genres de surveillance à distance. Du James Bond relifté à la sauce Internet, allant des outils les plus farfelus et «gaguesques» aux plus sophistiqués. Du classique stylo caméra (36,90 euros) au traceur GPS permettant de géolocaliser sa cible, en passant par le radio-réveil enregistreur des ébats infidèles, l’offre n’a d’autres limites que l’imagination de ses concepteurs.

Paru dans Libération du 16 mars 2010

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