«Les Revenants», les feux de la mort

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 26 novembre 2012 à 17h20
(mis à jour le 26 novembre 2012 à 17h23)

Enjamber le parapet, s'approcher du vide, peut-être retenir sa respiration et, sans plus attendre, avancer d'un pas. L'attraction terrestre fera le reste, le corps qui tombe, rebondit contre la paroi cimentée du barrage et, déjà mort, s'abîme 180 mètres plus bas. Tchao la compagnie. Qu'y avait-il de plus raisonnable à faire, de toute façon, quand cette folie-là survient ? Un seul personnage aura cette réaction des plus judicieuses. Les autres, tous les autres, regarderont, hébétés, ravis, furieux, les morts refaire surface pour leur pourrir l'existence. Voilà les Revenants , série fantastique française et, si l'on ose, hu-hu, fantastique série française qu'inaugure ce soir Canal+. Cinq ans que la chaîne cryptée tourne et retourne cette envie d'une virée dans le surnaturel, fait plancher des auteurs pour finalement aboutir à cette idée simple : les morts sont de retour, aussi vivants qu'avant l'instant de leur trépas.

Alors bon, c'est légèrement surprenant, et pour les vivants, on s'en doute, et pour les morts, qui ne savent pas qu'ils ont cassé leur pipe. Ainsi Camille (Yara Pilartz), ado de 15 ans, en train de vider le frigo en jacassant. Elle vient de rentrer chez elle. Elle a «trop faim» , et pis il vient de lui arriver un «truc trop dingue» explique-t-elle à sa mère : «J'étais dans le car et je me suis réveillée au milieu de nulle part.» Légèrement interdite, sa mère. Comme son père, plus tard. Et sa sœur surtout. Car Camille a été écrabouillée dans l'accident dudit car quatre ans plus tôt. Ainsi Simon (Pierre Perrier) le beau gosse qui n'avait pas besoin d'être mort pour s'afficher ténébreux. Ainsi Victor (Swann Nambotin) le gamin fringué comme en 1977. Morts et puis plus morts, morts-vivants, dit-on d'habitude.

Sauf que c'est le premier joli coup des Revenants : les défunts pètent le feu, ni zombifiés ni putréfiés, simplement affamés et insomniaques. C'était l'idée du film éponyme de Robin Campillo un peu remarqué en 2004, mais dans son adaptation en série, le réalisateur Fabrice Gobert ( Simon Werner a disparu ) a gommé la dimension sociale pour s'attacher aux corps et aux cœurs. Et voilà nos morts nettement plus sensuels, sensibles, affectueux que leurs alter egos vivants, leur miroir à vif. Car chacun des morts colle aux basques d'un vivant. Pas très frais, généralement, le vivant : tête de mort, dépressif, déprimé, endeuillé, des cernes jusque-là. Adèle (Clotilde Hesme), la fiancée de Simon est livide ; lui, frais comme une rose. Julie (Céline Sallette), l'infirmière, l'élue de Victor, est sociopathe ; lui passe son temps à lui faire des bisous. Et Camille, et ses hormones en vrac. «Toi aussi tu es…» , lui demande Adèle, sous-entendu «tu es morte» , et l'ado de répondre : «Oui, moi aussi je suis amoureuse de quelqu'un qui ne veut pas de moi.»

Car l'autre joli coup de Gobert, c'est d'avoir habillé ses Revenants de l'esprit teen-movie de son précédent film. Ils ont 15 ans, ils s'emmerdent dans ce bled pourri et sans nom, coincé entre des montagnes et un barrage (en vrai, celui du Chevril, à Tignes) et distraient leur ennui en picolant au Lake Pub ou en s'empiffrant dans un diner des environs. Une espèce d'Amérique alpine, en lancinant hommage à Twin Peaks , la série de David Lynch. Fabrice Gobert s'est même offert son Angelo Badalamenti à lui : le groupe écossais Mogwai a composé les thèmes des Revenants , entre comptine cristalline désaxée et trilles suraigus sur fond de sourd rotor.

Élégance musicale, classe des acteurs (des ados en fleurs vénéneuses à Anne Consigny juste sur les nerfs, de Frédéric Pierrot hagard à Ana Girardot styxéenne à souhait) et cadres sophistiqués. A l’instar du scénario, la réalisation est ouvragée : travellings solennels comme des convois funéraires, cadres ultracomposés et montage affûté, le tout au service d’un rythme à la lenteur trompeuse et au suspense suffocant.

Peu à peu, les morts prennent le pas sur les vivants qui semblaient n'attendre que ça. Peu à peu, l'eau retenue par le barrage se vide. Peu à peu s'inonde la ville. Peu à peu, la terreur sourd : un tueur rôde. Un tueur quand la moitié de la population a un pied, sinon les deux dans la tombe ? Dans ce tunnel entre ici et là-bas, il plonge encore et encore son couteau dans le ventre de sa victime. Et lui souffle à l'oreille : «Chut, chut, ça y est, c'est fini.» Ça ne fait que commencer.

Paru dans Libération du 26 novembre 2012

Les Revenants , série créée par Fabrice Gobert

_ Episodes 1 et 2/8, Canal +, ce soir, 20 h 55.

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