Les chiffres bien choisis du rapport Hadopi

par Astrid GIRARDEAU
publié le 19 novembre 2008 à 19h32
(mis à jour le 20 novembre 2008 à 21h43)

En avril dernier, la CNIL reprochait au gouvernement de ne pas assez expliquer les motifs qui justifieraient «la création du mécanisme confié à l'HADOPI» . Elle est désormais servie. Annoncée la semaine dernière à coup de dépêches et de chiffres chocs (10000 emplois perdus à cause de la copie illégale) massivement repris, la fameuse étude (pdf) des cabinets de conseil Equancy et Tera Consultants a été remise aujourd'hui au cabinet de Christine Albanel.

Intitulée Rapport Hadopi - Impact économique de la copie illégale des biens numérisés en France , l'étude multiplie schémas et démonstrations sur les conséquences du piratage. Mais aussi les vérités toute faites et les chiffres tout prêts à être repris dans les discours et autres communiqués. En France, on parlait déjà d' un milliard de fichiers téléchargés en 2007, on pourra maintenant citer les 10000 emplois (directs et indirects) et 1,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires à imputer à la copie illégale. Outre-Atlantique, on parle de la perte de 750000 emplois et de plus de 200 milliards de dollars, des données récemment contestées par Wired et Ars Technica .

Le rapport tombe à point nommé. L'effet d'annonce s'inscrit une fois de plus dans un calendrier bien ficelé. Sorti le matin même où le SNEP annonçait les résultats du marché du disque, il débarque quelques semaines avant le passage du texte de loi Création et Internet devant l'Assemblée Nationale. Et aussi une semaine avant le vote du Paquet Télécom (et donc de l'Amendement 138) par le Conseil des ministres européens.

On ne détaillera pas ici les failles du rapport (on conseillera pour cela la lecture de l'article fouillé de Fabrice Epelboin dans Read Write Web ), pour s'attarder sur deux points.

Si l'étude se déclare indépendante -- et «faite pour le compte de personne» comme le rapporte PC Inpact --, plus de 80% des données proviennent des syndicats et lobbys, de l'industrie culturelle et de l'Etat. Soit de l'ALPA, du SNEP, de l'IPI, ou encore du Ministère de la Culture lui-même. Un schéma d'Epelboin repris ci-dessous le résume efficacement. C'est un peu comme si on faisait une étude sur l'impact de la pêche au thon rouge en Méditerranée avec des chiffres fournis par les thoniers marseillais.

L'autre élément -- qui ne choquera peut-être pas le parlementaire qui ne maîtrise pas bien le dossier et croit volontiers qu'il faut trois jours pour télécharger un fichier hébergé au Japon -- est que ce rapport va à l'encontre de multiples études menées depuis des années par des cabinets et universitaires du monde entier sur le piratage et son impact économique. «La copie illégale (...) induit inévitablement une moindre activité, voire une contraction de l'activité des secteurs qui la subisse» , annonce le rapport en introduction de l'étude. Une affirmation qui sert ensuite de fil conducteur.

Pourtant, la plupart des rapports sérieux effectués sur le sujet concluent que le piratage ne nuit pas à la consommation légale de films et de disques. Au contraire, même. On peut par exemple citer une étude commissionnée par le gouvernement canadien qui montrait que les utilisateurs qui téléchargent sont aussi ceux qui dépensent le plus pour des produits culturels.

En conclusion du rapport, on peut lire : «l'enjeu est clair : pour éviter que 10000 autres emplois soient à nouveau détruits d'ici à 2012, au moment de l'avènement de la "France numérique", il est indispensable de laisser davantage d'espace économique à de nouveaux modèles innovants en garantissant une rémunération des droits de propriété intellectuelle.» Quand on entend parler de modèle innovant, on pense plutôt à un mécanisme de type licence globale , pas forcément à la riposte graduée et au filtrage des réseaux. On verra bien si c'est l'avis de la ministre.

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