Les cinémas indépendants prennent position contre Hadopi

Une association de salles de cinéma indépendantes fustigent la loi Hadopi et prônent la contribution créative.
publié le 28 avril 2009 à 16h02

Avec son accord, nous reproduisons ci-dessous le texte que nous a transmis Indépendants, Solidaires et Fédérés (ISF), association de salles de cinéma indépendantes.

Hadopi, la stratégie de la rupture entre les créateurs et leur public.

Nous, salles de cinéma, sommes opposées à la loi Hadopi car elle est

liberticide, réactionnaire et inefficace. Nous sommes opposés à cette

loi car elle ne résoudra en rien les difficultés du secteur de la

création, elle tend à opposer les créateurs et leur public et semble

totalement ignorante des implications des mutations technologiques

actuelles sur nos pratiques culturelles. Si les salles de cinéma ont

encore un avenir, c'est pour être un lieu d'échange et de partage, et non

un lieu où on surveille les spectateurs avec des jumelles infra-rouge, et

ou devant chaque film ont diffuse un texte demandant à chacun de dénoncer

son voisin (il est vrai que nous vivons des temps troublés où l'on en

revient à interdire les réunions sous couvert de protéger le

citoyen…). La salle de cinéma a une raison d'être, c'est d'être le

lieu de l'expérience collective, et de s'inscrire pleinement dans la vie

de la cité.

Comment avons-nous pu perdre le sens de ce que nous faisons au point de

restreindre les libertés individuelles et la diffusion des œuvres au nom

de la préservation de la création ? En opposant les artistes à leur

public, la loi Hadopi vide de son sens l'objet de toute création : être

vue, écoutée et partagée. De quelle culture s'agit-il en fait ?

Assurément pas celle des Lumières, mais plus probablement celle de

l'argent. L'industrialisation de la diffusion des œuvres fut un moyen

efficace dans les siècles précédents, depuis l'invention de

l'imprimerie, de diffuser la culture au plus grand nombre. Aujourd'hui, la

dématérialisation des œuvres remet en cause ce mode de diffusion et

offre aux créateurs des possibilités de diffusion et d'émancipation sans

précédent. Encore faut-il ne pas louper le coche…

Le numérique pourrait être pour nous une opportunité extraordinaire de

jouer ce rôle de lieu d'échanges et d'émulation artistique, si l'on

avait la possibilité de diffuser à la fois des créations locales à

petit budget, et à la fois des productions plus ambitieuses. Or les

matériels que l'on nous propose aujourd'hui sont trop chers et ne

permettent pas de diffuser tout ce que le numérique peut offrir. Nous

sommes pour l'heure cantonnés dans une norme de fichiers difficiles à

mettre en œuvre. Une plus grande souplesse nous permettrait de diffuser

plus aisément des créations locales, sans coûts supplémentaires, et de

favoriser ainsi l'émergence de nouveaux talents. C'est avant tout ce qui

nous intéresse, nous exploitants citoyens, dans le passage à la

projection numérique. Un matériel plus adapté aux petites salles

permettrait de surcroit un renouveau des salles de quartier et d'ainsi

revitaliser le tissu social. Internet et le numérique ont libéré partout

dans le monde des énergies créatrices extraordinaires. Il est essentiel

de ne pas brider ces énergies comme le propose cette loi qui ne favorisera

en rien la diversité culturelle et n'anticipe en rien les mutations de la

société, et l'évolution des pratiques. L'objet de cette loi est de

préserver les structures pyramidales issues de l'ancien monde, de

maintenir sous perfusion des modèles sans avenir.

Non contente d'être inefficace, la loi Hadopi aura pour conséquence

directe de rémunérer non pas les artistes, mais les différentes

sociétés offrant des services payants permettant de télécharger

anonymement (les fournisseurs d'accès aux newsgroups, les hébergeurs de

fichiers volumineux, les serveurs de proxys ou autres tunnels cryptés et

sécurisés…). Il est temps de mettre en place cette contribution

créative que nous appelons de nos vœux. Car si elle n'est pas mise en

place, la prochaine étape sera la fin de la neutralité d'Internet. Et

c'est là que la diversité culturelle est en réel danger.

Les fournisseurs d'accès ne doivent pas devenir des fournisseurs de

contenus. Internet, c'est la décentralisation et la possibilité donnée

à tout un chacun de produire et diffuser du contenu. Or c'est ce qui se

profile actuellement, et pas seulement pour Internet mais aussi pour le

passage au numérique des salles de cinéma.

Dans un futur proche, les films sont amenés à être acheminés dans nos

salles par le biais des fournisseurs d'accès. Or si ceux-ci deviennent

fournisseurs de contenus, quelle liberté de programmation aura-t-on ? Si

les fournisseurs d'accès deviennent fournisseurs de contenus, le filtrage

des réseaux sera la prochaine étape, et ce sera la mort de la diversité

culturelle. On veut nous transformer en télévision câblée, au même

titre qu'on veut transformer Internet en un media comme un autre, c'est à

dire contrôlable. Ne nous y trompons pas, la loi Hadopi n'est là que pour

maintenir les pouvoirs en place et favoriser une concentration des medias

encore plus grande.

À l'ère numérique, la notion d'intermédiaire technique est

essentielle. Comment expliquer la montée fulgurante de l'iTune Store

d'Apple ? Cela a-t-il favorisé une meilleure rémunération des artistes ?

Certainement pas. Il est temps que les créateurs prennent la mesure des

possibilités d'émancipation que leur offre le réseau, qu'ils

n'échangent pas une servitude pour une autre. La contribution créative

semble être un bon moyen pour y parvenir. Mais il est également temps que

les millions de gus dans leurs garages, ceux qui innovent chaque jour sur

le réseau, prennent conscience qu'ils doivent travailler avec les artistes

pour inventer des nouveaux modèles pour rémunérer la création. La

diversité culturelle, nos libertés et la bonne santé de nos démocraties

sont en jeu. Sommes-nous encore des êtres humains, ou sommes-nous devenus

des fourmis pour vouloir, quelles que soient les circonstances, sans aucune

réflexion et à n'importe-quel prix, préserver la structure immuable de

la fourmilière ? La révolution de l'âge numérique aura-t-elle lieu ?

Indépendants, Solidaires, Fédérés est une association regroupant des salles de cinéma indépendantes ( Utopia , Pandora , l’Alhambra , Diagonal … et autres).

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