Les comptes de l'amère loi

L'Assemblée a adopté les taxes censées compenser la suppression de la réclame.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 16 décembre 2008 à 11h22

Merci de bien vouloir vous tirer une balle dans le pied. Voici en substance le contenu de la lettre adressée par Christine Albanel, ­ministre de la Culture, à ­Patrick de Carolis, président de France Télévisions (lire Libération d’hier). Empêtrée dans la loi sur l’audiovisuel qui ne pourra être promulguée le 5 janvier, date prévue pour la suppression de la pub sur France Télévisions à partir de 20 heures, la ministre a en effet demandé à Carolis de passer par le conseil d’administration pour anticiper la loi et faire que la pub disparaisse bien à la date dite.

Exit donc la solution du décret qui sentait trop le passage en force et pouvait être retoquée par le Conseil d’Etat et bonjour l’humiliation pour Carolis, forcé de signer lui-même l’acte d’exécution de France Télévisions.

A l'Assemblée, où était abordé le délicat volet du financement la décision a déclenché un joli hourvari. Didier Mathus (PS) ­estimant qu' «on va demander à France Télévisions de se passer la corde autour du cou» tandis que Noël Mamère (Verts) appelait carrément Patrick de Carolis à «la désobéissance au nom de l'intérêt public et de la sauvegarde du service public de l'audiovisuel» .

Il pourrait bien être entendu. Du moins en partie. Selon nos informations, Patrick de Carolis s'apprêterait à demander au conseil d'administration de prendre une décision sur la suppression de la pub le 5 janvier, et donc de voter. Or, ce n'est pas ce qu'avait prévu le ministère de la Culture qui estime qu'il s'agit là d' «un acte de gestion» qui n'appelle pas de vote. Une manière pour Carolis de couper la ­patate chaude en deux : il fait ce que le gouvernement attend de lui, mais pas complètement. Il faut dire que si Carolis obtempérait sans barguigner, sa situation deviendrait compliquée au sein de France Télévisions. Déjà le SNJ a réagi, estimant que : «S'il accepte, c'est lui qui sera responsable d'être intervenu […]alors que le débat sur la loi n'est pas terminé. C'est lui qui aura pris le risque d'acter la suppression de la pub sans que la compensation soit garantie.»

La compensation justement était au centre des débats. Après avoir voté vendredi soir la taxe des chaînes privées – divisée en deux pour ne pas trop faire souffrir cette grande malade de TF1 –, les députés se sont empoignés autour de l’autre taxe, celle sur les fournisseurs d’accès à Internet.

Elle a été adoptée sans barguigner par l’UMP mais, faits poli­tique rare, l’allié de la majorité, le Nouveau Centre, s’est abstenu. Logique, car l’amendement de Jean Dionis du Séjour demandant une progressivité de la taxe en fonction des résultats des ­entreprises taxées a été rejeté.

Les fournisseurs d’accès à Internet, ­fumasses, ont déjà promis de répercuter la taxe sur la facture de leurs abonnés. La taxe doit rapporter 370 millions d’euros, auxquels s’ajoutent, dans le pire des scénarii, 40 millions d’euros issus de la première taxe. Mais qu’on se rassure, le gouvernement l’a garanti : au total, France Télévisions touchera, au titre de la compensation, 450 millions d’euros par an, pour 2009, 2010 et 2011. Et si les taxes ne rapportent pas les 450 millions d’euros annoncés ? C’est garanti, on vous dit. Et si la réclame, qui restera avant 20 heures, rapporte moins que les 260 millions d’euros prévus ?

Et quels moyens pour produire les programmes qui, justement, remplaceront la pub défunte ? Ça aussi, c’est garanti : rien, zéro million d’euros.

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