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Libération

Les exclusivités d'Orange déconfites

Le gendarme de la concurrence estime que les ventes liées doivent être encadrées.
par Catherine Maussion
publié le 8 juillet 2009 à 11h16
(mis à jour le 18 décembre 2009 à 15h35)

Une exclu, oui. Deux exclus, bonjour les dégâts. Autrement dit, acheter les droits du match de foot du samedi soir pour en faire une chaîne, en l'occurrence Orange Sport, oui, cela peut se concevoir. Mais la réserver à ses seuls abonnés au haut débit, c'est l'exclu de trop. Ce n'est qu'un simple avis , donné hier par le gendarme de la concurrence à Christine Lagarde, la ministre de l'Economie. Mais il fait mal à la stratégie d'Orange, qui a fait de l'exclusivité son fer de lance.

Orange va -il devoir renoncer à Orange Sport ou Cinéma Séries, réservées à ses seuls abonnés  au haut débit  ?

_ Trop tôt pour le dire. Il faudra attendre le printemps prochain quand l'Autorité de la concurrence rendra son verdict sur la plainte formelle que Free et SFR alliés à Canal + ont déposé contre Orange et ses chaînes maison. Pour autant, l'avis rendu hier, qualifié de «vision prospective» par le président de l'Autorité, montre un peu beaucoup la voie. La durée de l'exclu doit être limitée à «un à deux ans maximum» , et son champ réservé «aux seules véritables innovations de nature technique» . Ce qui ne ferme pas la porte à la pratique d'Orange mais promet de belles empoignades. Question : la possibilité pour l'abonné de, par exemple, tchater sur Orange Sport, via sa télécommande, est-elle une innovation ? Oui, sans doute, expliquait hier l'Autorité. Mais acheter les droits pour quatre ans, comme Orange l'a fait pour le foot (203 millions d'euros par an jusqu'en 2012), n'aurait plus beaucoup de sens s'il faut lâcher l'exclu au bout de deux ans. D'ailleurs, chez SFR, on a surfé aussitôt sur un avis qui «va dans le sens d'un plus grand accès de tous les opérateurs à tous les contenus» .

Comment motiver Orange pour qu’il continue de concurrencer Canal + ?

_ L'Autorité de la concurrence a des mots très durs pour le verrouillage par Canal+ de la télévision payante du fait de ses exclusivités de distribution (Canal + le Bouquet, dont les chaînes sont aujourd'hui indissociables). Bienvenue donc à Orange sur ce marché «trop peu concurrentiel» . Mais à condition qu'il renonce lui-même à son modèle de chaînes-prisons pour endosser un nouvel habit : «Pourquoi ne ferait-il pas de l'auto-distribution ?» C'est la trouvaille de l'Autorité de la concurrence, et elle s'est inspirée de l'Ofcom, le régulateur anglais des médias. Quèsaco ? Orange négocierait ses contenus exclusifs qu'il distribuerait sous son nom de marque sur toutes les plateformes, accessibles à tous et à son prix. De la même manière qu'un client de Free peut s'abonner à Canal +. Que demander de plus ? Hier, chez Orange, on l'avait saumâtre : d'accord pour autodistribuer, mais il faudrait avant qu'on libère les chaînes. Autrement dit : obliger Canal + à faire éclater son bouquet. Tout un programme.

Et le consommateur dans tout ça ?

_ Imaginez que SFR se mette à confisquer le basket ? Ou qu'un autre verrouille Roland-Garros ? Et pourquoi pas le Mondial de foot pendant qu'on y est ? Va t-on devoir jouer à saute-opérateur Internet en fonction des exclus du moment ? Certes, Orange Sport – 113 000 abonnés au dernier pointage – n'a pas fait migrer massivement les internautes vers le triple play maison (télévision, internet, téléphone). Mais, demain, «c'est le marché du haut débit ou du très haut débit qui peut être déstabilisé» , estime l'Autorité. Elle redoute par-dessus tout que «se crée un duopole» avec Orange d'un côté et SFR marié aux chaînes de Canal + de l'autre. «La concurrence sur le haut débit est encore fragile» , juge le gendarme.

Aujourd'hui, on choisit son fournisseur ADSL, en fonction de la qualité et du prix de l'accès à Internet. Et demain avec la fibre ? Le risque est d'autant plus tangible qu'Orange plaide pour un modèle de déploiement de la fibre (une seule par logement) incompatible avec la souscription à plusieurs opérateurs. L'UFC-Que choisir est plus radicale encore : la double exclu, «fondement de l'écosystème d'Orange est incompatible avec la liberté de choix du consommateur» , explique Edouard Barrero, regrettant que l'Autorité ne l'ait pas totalement interdite : «Orange va enfiler ses Orange Sport et Cinema Séries, en restant dans les clous de l'Autorité, mais il va en faire un modèle et après il va nous expliquer que le foot et le cinéma ne peuvent plus se passer de lui…»

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