Les guetteurs du séisme boursier

par Marie Lechner
publié le 12 mars 2012 à 12h30
(mis à jour le 13 mars 2012 à 9h43)

Alors que la finance semble définitivement déconnectée du réel, le collectif artistique RYBN tente de matérialiser, grâce à ADM 9 , l'activité spéculative en direct. Son dispositif d'écoute des marchés -- installé jusqu'au 23 mars à la Gaîté lyrique à Paris -- détourne trois machines ultrasensibles, pour retranscrire les ondes de choc qui parcourent l'espace financier afin de déceler les signes avant-coureurs d'une catastrophe.

Un sismographe est connecté au Forex, le marché frémissant des changes. Le crayon trace sur papier déroulant la magnitude eurodollar. Valeur hautement symbolique en ces temps de crise grecque, où l'on annonce régulièrement l'effondrement de la zone euro. Ces oscillations anodines -- annonciatrices d'un séisme imminent ? -- rappellent que si les flux financiers sont virtuels, leur impact sur l'économie et les sociétés l'est beaucoup moins. Un hygrothermographe, qui mesure d'ordinaire la température et l'humidité, trace ici l'écart entre le prix de vente et le prix d'achat de l'eurodollar. Pour affiner cette perception du climat boursier, une imprimante matricielle est connectée à Twitter, guettant et imprimant les messages où apparaissent des combinaisons de mots-clés crise + euro, austérité + rigueur… Car les flux d'opinions sur le service de microblogging sont loin d'être anodins, si l'on en croit une étude universitaire américaine qui démontre que Twitter pouvait prédire, avec une fiabilité de 90% et plusieurs jours d'avance, l'évolution du Dow Jones, établissant une corrélation entre l'humeur collective et la valeur de l'indice.

Cette information précieuse pourrait être à terme intégrée dans l'algorithme qui pilote le robot de trading amateur mis au point en septembre par RYBN, qui poursuit ses investigations sur le monde opaque de la finance. Lancé sur les marchés financiers il y a sept mois, en pleine tourmente de la dette, on ne donnait pas cher de sa peau. Mais le robot trader a réussi à limiter la casse et continue de spéculer, vendant et achetant des actions de manière automatique, en s'appuyant sur un algorithme de prédiction fait maison. Doté d'un capital de 8279 euros, il investit tant qu'il a de l'argent et tente de survivre dans la jungle de la finance mondiale jusqu'à son inévitable faillite.

Il y a quelque chose d'émouvant et de dérisoire dans les efforts de ce robot-trader low tech pour se maintenir à flot. Ce programme, développé par des artistes et sans l'aide d'experts, ne peut évidemment concurrencer les algorithmes toujours plus sophistiqués des pros de la finance, poussés à leur paroxysme avec le trading haute fréquence, mode d'achat et de vente d'actions ultrarapide (de l'ordre de la microseconde) exécuté par de puissants ordinateurs en mode automatique, tirant profit des micromouvements boursiers. Une pratique en plein essor qui représente déjà plus de 35% des transactions en Europe et 60% aux Etats-Unis. «Qu'est-ce que la valeur d'une entreprise divisée en myriades de petits morceaux que des robots possèdent quelques millisecondes ?» interroge RYBN.

Dans cette guerre asymétrique, le robot trader opte pour le parasitage en livrant les secrets de son algorithme à quiconque souhaiterait mener l'expérience, lors d'un atelier d'initiation à la finance open source le 18 mars. Ce samedi 10 mars, à partir de 16 heures, le collectif convie experts et universitaires à débattre des enjeux politiques de la finance avec Antoinette Rouvroy, qui viendra parler de « gouvernement algorithmique » ou encore le philosophe activiste Franco Berardi auteur d'un retentissant article sur le « finazism » .

Paru dans Libération du 10 mars 2012

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