«Les licences libres permettent de rendre les œuvres plus durables»

par Marie Lechner
publié le 10 avril 2012 à 11h40
(mis à jour le 10 avril 2012 à 11h56)

Coresponsable scientifique du colloque Digital Art Conservation qui s'est tenu les 24 et 25 novembre à l'Ecole supérieure des arts décoratifs à Strasbourg, dans le cadre du projet européen, Anne Laforet est auteure du livre Le Net art au musée, stratégies de conservation des œuvres en ligne (Editions Questions théoriques, L>P).

Avec l’obsolescence technologique, l’art numérique est-il menacé de disparition?

Les œuvres sont menacées sous leurs formes actuelles, mais elles ne sont pas toutes sensibles de la même manière au passage du temps. Cela dépend de la «solidité» (toute relative) de leurs matériaux numériques, ou de la question de savoir si elles peuvent avoir différentes actualisations technologiques tout en étant la même œuvre. Contrairement à d’autres formes artistiques, la pérennisation d’une œuvre numérique est à prendre en compte dès sa création. La conservation de l’art numérique est aussi un bon terrain d’expérimentation en ce qui concerne les archives qui subissent la même obsolescence technologique.

La mise à jour systématique des appareils obsolètes est-elle souhaitable?

Pas nécessairement, car certaines œuvres sont intrinsèquement attachées à un contexte sociotechnique, et perdent une partie de leur signification (voire sa totalité) si elles sont mises à jour avec des technologies plus récentes. De plus, certains matériels obsolètes sont maintenus par des communautés, comme dans le cas du rétro-gaming, ce qui permet une meilleure longévité. Parallèlement à la mise en place de stratégies de conservation, il faut imaginer des façons de montrer les œuvres qui prennent en compte différents rapports au temps tout en évitant que ce qui ressorte soit que l’œuvre «ne marche pas».

L’approche open source peut-elle garantir une plus grande longévité?

Oui, même si elle reste relative. Les logiciels libres, les formats ouverts, le matériel ouvert, permettent de passer outre les stratégies commerciales qui peuvent affecter grandement la production artistique (par exemple, Director a été un logiciel majeur de la création dans les années 90 et début 2000 notamment, et il n’est quasiment plus utilisé). Les spécifications de ces éléments étant partagées et documentées, il est plus facile d’envisager des reconstructions. Les licences libres permettent de rendre les œuvres potentiellement plus accessibles et plus durables.

L’artiste Igor Stromajer, plutôt que de conserver ses œuvres de Net art, a choisi de les détruire…

Je trouve le geste d’Igor Stromajer passionnant. D’ailleurs, nous l’avions invité au colloque de novembre pour en parler. Le rituel qu’il a instauré (en enlever une par jour), la documentation des œuvres qu’il a faites, avant de les supprimer, la possibilité pour certaines d’en télécharger le contenu, ont permis de rendre ses œuvres accessibles de nouveau. Même si elles ont disparu matériellement (au moins pour l’instant), elles sont inscrites dans une mémoire, une sorte d’oralité. Les œuvres en ligne ont besoin d’être accessibles, sinon elles ne sont plus qu’un tas de fichiers morts au lieu d’être disponibles à l’activation.

Paru dans Libération du 10 avril 2012

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