Les octos tricotent de l’octet

Un atelier parisien, Tea Time With Albertine, propose aux vieilles dames une initiation au concept Internet.
par Marie Lechner
publié le 29 novembre 2010 à 9h12
(mis à jour le 29 novembre 2010 à 10h09)

Demandez leur ce qu'est un hacker, un flashmob, un spam, un smiley ou un octet, les demoiselles sont incollables. Il y a Dédée, la plus «lol», avec son bagout et ses antisèches, la malicieuse Dolorès, Gisèle, la plus branchée et la plus bavarde, la timide Annick, Jacqueline, sensible aux «vibrations négatives du wifi» ou la coquette Edith qui «veut croquer la pomme avec Steve Jobs» . Leur point commun : ce sont toutes des femmes, elles ont toutes plus de 80 ans, et n'avaient pour la plupart jamais mis les doigts sur un ordinateur. Jusqu'à ce qu'elles découvrent l'atelier Tea Time With Albertine, qu'anime, depuis mars 2008, la netartiste Albertine Meunier : une initiation au Web pour les seniors qui se déroule tous les quinze jours entre la Cantine et la Maison des métallos, à Paris (1).

Hyperassidues, les cybermamies ne manquent à l'appel qu'en cas de force majeure : panaris à l'orteil, bronchite, satanées jambes, ou alerte dans le RER. Mais même bloquées chez elles, elles skypent ou communiquent à distance via Google chat video. D'ailleurs Annick, c'est quoi un tchat ? «C'est un bavardage entre deux personnes connectées au même ordinateur en temps réel.» Dédée pense que «ça vient du midi», «moi, on me dit toujours ça : tu tchatches trop» .«Quand on tombe sur un mot qu'elles ne comprennent pas , dit Albertine, je leur dis de chercher sur Wikipédia, elles potassent puis sont chargées de me redire ce qu'elles ont compris.» Ce qui a donné lieu à un glossaire vidéo charmant , où nos demoiselles décryptent avec brio des concepts qu'on aurait nous-même du mal à résumer. Preuve par l'exemple. Dédée, qu'est-ce qu'un hacker ? «Eh ben je vais vous apprendre quelque chose. C'est déjà un mot anglais ! C'est un bidouilleur. Et ça permet de trafiquer un objet pour en faire un autre.» Pour Gisèle, «il y a des hackers blancs et des hackers noirs qui profitent du système à des fins personnelles d'enrichissement, pour piquer des idées, et même des hackers rouges, en Chine, qui confortent le régime.»

Ecrans a demandé à ces dames ce qu'est un lolcat. C'est Gisèle qui s'y colle.

Qu'elles chantent en choeur sur les vidéos YouTube de leur air préféré, ( la Femme aux bijoux pour Dédée, Jules et Jim pour Gisèle), cherchent sur Internet les photos de leur «lover» (Mandela pour Dédée, Obama pour Dolorès ou Montand pour Annick), fassent du tourisme sur Second Life ou des cadavres exquis sur Google chat, tous les prétextes sont bons pour la déconnade. «Parfois ça rigole tellement fort, qu'elles se sont fait sermonner à la Cantine par une jeune femme de 25 ans» , s'amuse Albertine. Aux Métallos, elles ont foutu un boucan pas possible le jour du Google Pacman Day, fêtant les 30 ans du jeu vidéo mythique, en ouvrant chacune cinq onglets sur leur navigateur et en mettant le son à fond.

Autre passe temps favori, le «Google chat muet», où les dames se retrouvent dans la même salle pour tchater sans qu'aucune ne parle. «On a un vocabulaire un peu spécial : quand elles sont perdues, je leur dis "petite maison". Pour effacer, on dit "manger les lettres" et puis je leur dis d'être fainéantes car, quand vous tapez le début d'un truc, le reste du mot vient tout seul. Je leur apprends le concept d'Internet, je ne leur apprends pas la technologie.» Depuis quelque temps, le gang d'octogénaires part en goguette interviewer les passants, caméra au poing, afin d'en savoir plus sur la culture numérique. Leur motivation ? «On a l'impression de rester dans l'époque actuelle. Ça nous empêche un peu de vieillir.»

(1) Prochain Tea Time le 3 décembre de 14 h à 17 h, dans le cadre du festival Digitalement vôtre, à la Maison des Métallos (75011).

Paru dans Libération du 27/11/2010

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