«Parler de Musiques incongrues , c'est comme de parler de son bar du coin. Le mieux, c'est évidemment d'y aller, de se coller au zinc et surtout de se joindre à la conversation ! C'est donc un forum mais aussi un agenda, une radio, un endroit où déposer ses œufs, bref un lieu de vie où tout est permis et tout est possible.» On ne saurait donner meilleure définition que celle proposée par le Laboratoire , alias Hyperkut et Ogoun Ferraille, membres actifs, pour définir ce forum musical fourmillant, excentrique, accueillant, qui respire la bonne humeur et la déconne.
Lancé en août 2006 par Johan Mailleret (alias Bozoo), en marge de son netlabel electro Da ! Head it Records (Vicnet, Computer Truck, Sidabitball…) et Michel Bertier, Musiques incongrues regroupe geeks, artistes, oisifs hyperactifs, amateurs de musiques tordues, décalées, curieuses.
Lieu d'échange de trouvailles sonores en tout (mauvais) genre, excavées des fonds de tiroirs de la Toile, collection de shows radios qui défrisent, d'incongruités numériques et autres crasses visuelles à reluquer dans la pinacothèque (on ne saurait trop vous recommander la collection body art pourri ou les vêtements trop classe), le forum fleure bon les cultures libres, avec un seul mot d'ordre : «éclectisme », dixit Michel Bertier.
Le forum fédère plusieurs émissions de radio, dont le mythique The Brain et ses playlists rétrofuturistes décervelées, où s'entrechoquent «easy listening, vintage, exotica et musiques électroniques déviantes et-ou amusantes», de la «pop coréenne à l'électronique allemande en passant par le boogaloo». Après avoir parasité les ondes d'une quinzaine de radios associatives en France, au Canada, en Pologne, en Allemagne, The Brain (lire son interview sur Ecrans.fr ) est désormais en podcast sur le Web, escorté de gifs animés psychédéliques et de clips bizarroïdes. Près de 100 émissions au compteur avec, aux commandes de l'hémisphère gauche, Eva Lebrain, critique d'art dans une vie parallèle, et de l'hémisphère droit, Pascal Loubrain, alias le musicien Puyo Puyo.
Depuis Nantes, The Brainphosphore également sur le nouveau projet lancé par les Bruxellois du laboratoire, intitulé Radioclash . Car Musiques incongrues ne se contente pas d'héberger, le forum aide aussi à mettre en œuvre les idées les plus saugrenues de ses bouillants contributeurs. C'est ainsi qu'est née toute une gamme de projets participatifs, dont Pardon my french , reprise en français littéral de hits anglosaxons sur une bande-son fait maison, ou Radioclash, un mix de 60 minutes où plusieurs groupes se confrontent sur un thème prédéfini (les robots, la géométrie et d'autres en cours comme Excrétion et Sécrétion), émaillé de samples de films, de publicités.
«C'est une émission collective mais sous la forme d'un cadavre exquis , explique Ogoun. Chaque participant ignore ce que les autres fabriquent de leur côté. L'occasion de confronter des sensibilités musicales variées et c'est en général très amusant (à fabriquer et à écouter)» . Le radioclash «Love» est à ce titre un petit bijou, où se côtoie Boby Lapointe, Melodik Pinpon qui veut Faire l'amour à un synthétiseur , ou Comix, obscur groupe de new wave des années 80, avec ce tube séminal Touche pas à mon sexe . Le laboratoire, basé à Bruxelles «ville incongrue s'il en est, haut lieu du surréalisme et du New Beat» , réalise par ailleurs SpielzeitEuropa, autre podcast des plus recommandables, exercice loufoque de «spéléologie sonore» , collage d'electro dark wave (où Ptôse côtoie Die Tödliche Doris), extraits de films, poésie sonore, raretés trouvés sur le Web et autres «mix géniaux puisés dans les émissions d'Istota Ssaca ou de Ouïedire » .
Paru dans Libération du 27 mars 2010