Les ragots du Net au régime Hadopi

par Astrid GIRARDEAU
publié le 23 octobre 2009 à 10h43
(mis à jour le 23 octobre 2009 à 10h43)

La loi Création et Internet a été pour la première fois invoquée par la justice. Non pas contre Kevin X. pour piratage du dernier Kool Shen, mais pour «diffamation et injure publiques envers un particulier» . La plaignante : Claire Chazal, présentatrice du 20 heures de TF1. L'accusé : Carl Zéphir, responsable du site Mixbeat, un forum de discussion de ragots people.

En janvier 2008, Claire Chazal porte plainte pour la publication de dix-neuf messages diffamatoires à son égard. Elle réclame 10 000 euros de dommages et intérêts. Six des messages sont signés «admin», mais il n’est pas démontré que Carl Zéphir est le seul à avoir utilisé ce pseudonyme, et ce dernier a nié être l’auteur des propos diffamatoires. L’affaire a été jugée le 9 octobre devant la chambre de la presse du tribunal de grande instance de Paris.

Mais entre-temps, Hadopi est passé par là. Loin de se limiter à la lutte contre le téléchargement illégal en ligne, la nouvelle loi comporte un ensemble de «dispositions diverses» passées un peu inaperçues. Parmi elles, l'article 27 relatif au statut de presse en ligne et à la mise en place d'un nouveau régime de responsabilité éditoriale «pour les services de communication au public en ligne» . Jusqu'ici un directeur de publication était considéré comme l'«auteur principal» en cas de diffamation. C'est ce qui avait conduit Vittorio de Filippis, ex-directeur de la publication de Libération , à être interrogé au petit matin pour le commentaire d'un internaute sur le site Internet du journal. Une «présomption délicate à mettre en œuvre pour les espaces faisant appel à la contribution et à la participation des internautes» , expliquaient les députés Jean Dionis du Séjour et François Sauvadet (Nouveau Centre) à l'origine du nouveau régime .

Désormais, un directeur de publication ne peut voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal d'un message posté par un internaute sur «un espace de contributions personnelles» . À condition qu'il n'en n'ait pas eu «effectivement connaissance» avant sa mise en ligne, ou qu'il n'ait pas «agi promptement» pour le retirer. «C'est un texte de bon sens , nous explique l'avocat Vincent Toledano qui vient, pour le compte de Louise Bourgoin, de remporter une affaire similaire contre Mixbeat. Un site avec des milliers de messages ne peut pas tout filtrer par exemple en matière d'incitation à la haine raciale. Là, on vous dit que c'est illicite, vous le retirez» . Cependant l'avocat déplore «la mauvaise qualité de rédaction» du texte qui «crée des zones d'incertitude et laisse la porte ouverte à toutes les interprétations par le juge» . Par exemple sur le terme flou «promptement» .

Se basant sur la loi Hadopi, le TGI a donc estimé qu'en tant que directeur de publication, Carl Zéphyr n'était pas responsable des propos incriminés. Trois messages font toutefois exception, car remis en ligne après avoir été signalés et supprimés une première fois. Pour cette «nouvelle publication» , il a été condamné à un euro de dommages et intérêts et 1 000 euros d'amende.

Si Claire Chazal a gagné, le nouveau régime a joué contre elle. Elle a cherché à faire valoir que l'article 27 ne concernait que les sites de presse, et que ce forum devait être soumis au régime de droit commun. Mais le texte parle de «services de communication au public en ligne» et dans cette première application, le juge a souligné que «faute d'avoir été réservé aux seuls services de presse en ligne cette disposition a vocation à s'appliquer à l'ensemble des services de communication au public par voie électronique» . S'appliquant à «tout espace de contributions personnelles identifié comme tel» , la disposition concerne donc aussi bien un message sur un forum communautaire qu'un commentaire sur une plate-forme de vidéos.

Paru dans Libération du 22 octobre 2009

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus