Les routards du web : «Il suffit d'une paire d'yeux»

par Camille Gévaudan
publié le 17 août 2009 à 15h31
(mis à jour le 25 novembre 2010 à 15h24)

En six épisodes , nous avons tenté de comprendre (et par là-même de vous expliquer) comment fonctionne le projet de cartographie libre OpenStreetMap . En conclusion de cette série, nous avons voulu nous intéresser à ceux qui font vivre ce projet au jour le jour. En l'absence d'un représentant «officiel» pour la partie française, nous avons choisi un format d'«interview communautaire» avec les contributeurs qui ont bien voulu répondre à nos questions. En raison du nombre d'intervenants, cette interview sera publiée en trois parties. Voici la deuxième partie ( lire la première ).

Depuis quand participez-vous à OpenStreetMap et qu'y faites-vous ?

Lionel Maraval : Depuis janvier 2009, je trace toutes les routes manquantes que je croise au cours de mes déplacements. Je passe aussi beaucoup de temps sur le cadastre pour compléter des zones que je connais à peu près.

Melaskia : Ma première utilisation a été professionnelle car je travaille sur un service de reverse geocoding (d'une coordonnée à une adresse). Je n'ai commencé à participer activement que depuis 7 mois avec l'accord de mes employeurs. Je travaille sur l'import de Corine (European Land Cover) pour la France avec d'autres membres comme Pieren. J'ai en cours d'autres projets pour OSM qui devraient se mettre en place petit à petit, comme un site pour favoriser les traductions, un import massif des données japonaises avec leur translittération en alphabet latin... J'ai aussi représenté la communauté française lors du State Of The Map à Amsterdam cette année.

Pieren : Contributeur depuis presque deux ans. J'ai créé le plugin cadastre-fr pour JOSM qui permet d'utiliser les images du cadastre en ligne. J'ai aussi participé à la demande officielle auprès de la DGFiP pour savoir si nous étions autorisés à le faire (rapport à la licence d'OSM qui permet un usage commercial des données), et contacté le ministère de l'environnement pour savoir si nous pouvions utiliser les données du programme européen Corine Land Cover pour la France. J'ai traduit beaucoup de choses sur le wiki parce que la connaissance de l'anglais était indispensable lorsque je suis arrivé sur le projet, et j'ai pensé que cela serait un frein important pour le projet en France.

Simon : depuis le 5 février 2009, je contribue sur Tours et les limites communales de la Vienne et des Deux-Sèvres.

Mathieu Arnold : D'après le site, septembre 2006. J'y mappe les endroits où je passe, quand j'ai envie :-) Depuis quelques mois, je fais surtout des limites communales, j'en suis à 8 ou 9 départements.

René-Luc D'Hont : Je suis gérant de la start-up 3Liz, spécialisée dans le développement de solutions à dimension spatiale exploitant données libres et code open source. Nous avons réalisé OsmTransport pour permettre la visualisation des réseau de transport publics présents dans OpenStreetMap. J'utilise OSM depuis un peu plus de 2 ans. J'exploite les fonds de carte proposés par le projet au sein d'applications Web et Desktop et actuellement, je participe principalement à la création ou l'amélioration de données de transport public. J'ai principalement digitalisé le réseau de Montpellier .

Vincent Calame : Juillet 2009. Je fais les cartes de la région de ma maison de vacances. J'ai également fait la carte d'un domaine rural du Vexin français.

Nakor : Depuis avril 2009, mise à jour des cartes des endroits que je connais quand je vois des erreurs.

Quelle est votre ambition ? Vous êtes-vous défini un projet, personnellement ?

Drako99 : Partager.

Pieren : Combler les vides de la carte sur ma région, aider la communauté à grandir. Faire qu'OpenStreetMap devienne incontournable dans la cartographie comme Wikipedia l'est devenue en encyclopédie. Microsoft a dû arrêter son logiciel Encarta parce qu'ils ne pouvaient pas suivre. Je pense qu'à terme, OSM fera la même chose avec les concurrents commerciaux actuels.

Lionel Maraval : Que tous les endroits que je connais soient bien représentés sur les cartes.

DenisH : Mon projet personnel, à long terme, est de réussir à montrer que ce n'est pas si compliqué, qu'il suffit d'une paire d'yeux et qu'il est de notre responsabilité de citoyen de décrire nos territoires quotidiens parce que personne ne le fera mieux que nous.

Christophe Merlet : La grosse ambition est bien sûr d'avoir une cartographie exhaustive de tous les chemins et POIs. Mais je ne procède qu'avec des petits objectifs. D'ici la fin du mois je compte terminer les voies secondaires du 64. Sinon, quand je sort en balade, je part à la découverte des zones vierges d'OSM... Quand je trouve des routes qui ne se trouve sur aucune carte, je suis super content. OSM devient petit à petit plus précis et à jour que la "concurrence". La voie Nord-Sud sur Pau est inexistante sur toutes les autres cartes ! D'ailleurs, sur Google Maps, tous les lacs indiqués aux alentours de Pau s'appellent «Lac d'Uzein» !

Nakor : Avoir une carte routable du Michigan, puis des États et provinces alentours.

Sébastien Dinot : Je souhaite hisser l'information sur Toulouse, ville où je réside, à la densité et au niveau qualitatif de villes comme Grenoble ou Besançon. À part cela, ma petite fierté est de faire apparaître sur OSM des informations inexistantes sur les alternatives propriétaires. Deux exemples inachevés (mais j'y travaille) : ici et .

Jean-Marie : En gros, je vise d'abord à faire la totalité des routes carrossables de Quimper (8 000 ha, presque autant que Paris). Cependant, au passage, j'aurais sans doute fait Plouhinec (berceau de la famille), Audierne (c'est de l'autre côté de la rivière et mon frère y habite) et Portsall où ma belle-mère nous reçoit en été. J'ai fait Soisy-sous-Montmorency avec les images de Yahoo !, mais il faudra que je complète avec le cadastre et, si possible, sur place. J'en ai une mémoire photographique. C'est même très émouvant de cartographier la ville de sa jeunesse, car cela provoque des retours de mémoire puissants.

Renaud Martinet : L'ambition c'est qu'à terme les gens choisissent nos cartes et nos données, non pas parce qu'elles sont libres mais parce qu'elles sont meilleures que la concurrence. Je pense que c'est l'objectif de pas mal de monde. Et quand les gens à qui on montre des parties de la carte particulièrement fournies en données sont stupéfaits, on se dit qu'on est sur le bon chemin.

Avez-vous déjà contacté des municipalités ou organismes pour les inviter à aider le projet ?

Ulrich Rousseau : Oui, l'équipe municipale de ma commune. Mais je n'ai pas réussi à dépasser le stade du «ça existe déjà, ça s'appelle Google Maps» .

Julien Thévenon : Non. Par contre, dans le futur, je compte contacter les petits villages ou villes de par chez moi soit pour leur proposer d'intégrer les cartes OSM dans leur site web quand elles seront suffisamment complètes, soit pour leur demander d'essayer de faire pression sur la DGI pour que leur cadastre soit vectorisé.

Fabien Marchewka : Oui, la communauté de communes de Chateauroux qui vectorise le cadastre. Fin de non recevoir de leur part à cause des termes des contrats avec des prestataires.

Simon : Non, mais c'est en projet.

eMerzh : J'ai contacté la région wallonne (étant belge) par téléphone et par courrier. Les responsables semblent disposés à étudier la question... J'attends encore un retour.

Renaud Martinet : L'équipe cycliste Milram met à disposition les traces relevées par leurs GPS durant les différentes courses auxquelles elle participe. Les GPS étant prêtés par Garmin, les données leur appartenaient également. J'ai essayé de les contacter mais malheureusement sans résultat.

Steven Le Roux : Oui et réciproquement. Le projet prend de l'ampleur et les collectivités ont conscience de l'intérêt qu'elle peuvent en tirer.

Réutilisez-vous les cartes OpenStreetMap ou vous contentez-vous de les remplir ?

Arnaud Corbet : Pour l'instant je remplis. On a encore du travail avant d'avoir quelque chose d'utilisable pour mes besoins, et les applications de routage doivent encore progresser. Mais je suis impatient de pouvoir me débarasser des solutions propriétaires Teleatlas/Navtek et de rouler sur "nos" routes...

Thomas Clavier : Je les utilise pour savoir où il faut remplir ou corriger.

Sébastien Dinot : Je m'en sers de plus en plus, notamment pour situer un lieu dans les messages que j'envoie. Ah, les paramètres « lat » et « lon » dans l'URL, quel bonheur ! Grâce à eux, je peux par exemple vous donner rendez-vous ici .

Drako99 : Je tente de les glisser à gauche à droite dans mes communications.

Vincent Calame : Pour le cas du domaine agricole, nous allons réutiliser les cartes pour les mettre sur le site du domaine et servir de fonds à des informations géoréférencées très locales (quelles cultures sont sur quelles parcelles, dans quelles prairies sont les vaches).

Jean-Marie : Je n'ai ni téléphone portable, ni navigateur GPS. Ponctuellement, j'ai regardé telle ou telle ville pour m'orienter. Le projet est encore trop peu abouti, mais ça vient.

Nicolas Pouillon : En préparant un récent voyage en Italie, j'étais agréablement surpris de voir que les cartes étaient complètes ou j'allais. J'ai sauvegardé sur mon téléphone les cartes des 4 villes de mon périple pour pouvoir les consulter hors-ligne, car les communications données (utiles pour voir les cartes en ligne par exemple) sont inabordables à l'international. Ces plans de ville, complets et bien renseignés, m'ont été plus utiles que les tourist maps qu'on trouve çà et là et qui sont somme toute lacunaires.

Christophe Merlet : Je réutilise de plus en plus OSM, et j'ai des fois la surprise de tomber sur des zones que j'ai moi même mappé et qui sont infiniment plus précises que toutes les autres cartes... Ça fait tout drôle et donne un bon gros sentiment de fierté ;o) OpenRouteService devient de plus en plus pertinent au fur à mesure que OSM se complète.

Ulrich Rousseau : Je me génère des fonds de carte pour GPS pour voir ce qui est fait et ce qui reste à faire. J'ai en projet la réalisation d'une carte indiquant l'itinéraire du pédibus de mon village, et j'aimerais arriver à convaincre mes élus d'utiliser OSM pour réaliser le plan du village.

Le GPS dans le panier à vélo - CC Lars Aronsson

Emmenez-vous votre GPS en vacances ?

Christophe Merlet (RedFox) : SURTOUT en vacances !

Steven Le Roux : C'est le premier bagage :)

Arnaud Corbet : Toujours. C'est là que je fais les relevés les plus intéressants. Ce qui entraine des itinéraires parfois alambiqués pour remplir un "blanc" constaté sur la carte.

eMerzh : Pour sûr... Chaque petite route, chaque chemin de mes lieux de villégiature est ainsi enrichi. Ca ne demande rien de plus que de faire play quand on démarre et stop quand on s'arrête ...

Pieren : Non, je ne suis pas adepte de la méthode «collectons 1000 kms de routes et rentrons mettre tout ça dans OSM pendant un mois - ah zut, j'ai tout oublié» mais plutôt «collectons 10 kms de routes et rentrons mettre tout ça dans OSM pendant 2 heures - c'est bien, je m'en souviens encore» .

Renaud Martinet : Plus maintenant, je profite dorénavant des vacances pour me reposer et je ne souhaite pas vraiment imposer les détours et autres aux gens qui m'accompagnent.

Melaskia : Oui, mais pas pour mapper ;)

René-Luc D'Hont : Je n'ai pas de GPS.

Ulrich Rousseau : Bien sûr, car je pars en vacances à vélo et pour rien au monde je ne laisserais à d'autres le privilège de mapper des zones inconnues...

Sébastien Dinot : Bien sûr ! Mon GPS adore que je le promène. Et si je tente de m'en tirer en l'allumant à l'intérieur de mon appartement, il détecte aussitôt la supercherie et se plaint de ne pas recevoir de signal. Cela a l'air de terriblement l'affecter.

Comment se porte la communauté française ? Quelle est son actualité ?

DenisH : Bien, merci. Elle commence à prendre une taille certaine et son actualité immédiate consiste à essayer d'accueillir en son sein, du mieux possible, ces nouveaux arrivants. Au-delà, le projet d'import de

notre grande copine Corine Land Cover va continuer à mobiliser des ressources. Après demain, ce sera peut-être le futur VRAI Web Map Service du cadastre ou d'autres données publiques rendues utilisables pour notre projet. Mais ce n'est qu'une vision déformée par mon prisme d'agent public.

Mathieu Arnold : L'actualité, c'est l'ajout des limites communales à partir du cadastre, depuis le début de l'année en gros, et à la rentrée, l'import des données de Corine qui recense l'occupation des sols. On aura enfin une carte de France colorée par les forets, les exploitations agricoles, et autres grands espaces.

Arnaud Corbet : De mon point de vue elle est plutôt dynamique, mais relativement à nos voisins européens nous avons trois handicaps : nous sommes encore relativement peu, la France est trés vaste et le réseau routier secondaire y est très dense.

Pieren : Elle est assez faible comparé à l'Angleterre (où le projet est né) ou l'Allemagne (qui compte la plus grosse communauté de contributeurs). Peut-être est-ce que cela semble trop technique ? Peut-être que la culture du libre est moins développée chez nous qu'ailleurs.

Steven Le Roux : Elle progresse sans cesse depuis sa création, il n'y a qu'à voir le trafic de la mailing list. Il y a beaucoup de développeurs motivés qui proposent des outils pour cartographier, corriger ou voir l'avancement. Elle joue aussi l'interlocuteur entre les administrations et le projet (pour le cadastre, BrestMetropoleOceane (qui a offert ses données), la mairie de Plouarzel, etc...).

Christophe Merlet : Je l'ignore. Mais je serais curieux de voir les progrès réalisés sur la carte de la France avant et après l'été, pour constater si les vacances ont été studieuses :)

Sarge : En tant que Suisse, je vais parler de celle-ci. Je trouve que l'on a une bonne communauté en forte croissance (à mon goût trop forte). Autrement, je constate une forte disparité entre les cantons : sur Vaud c'est très actif, mais sur le Valais et Fribourg, il y a encore peu de temps, c'était de véritables trous :(

Pieren : Pour le canton où se trouve la ville de Gruyères, c'est un peu normal (désolé, j'ai pas pu me retenir).

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Les épisodes précédents:

- OpenStreetMap, les routards du web #1 : A la carte !

- Les routards du web #2 : Lost in GPS

- Les routards du web #3 : Sur la route

- Les routards du web #4 : Les traces de son passage

- Les routards du web #5 : Taggons les rues !

- Les routards du web #6 : Dessine-moi une maison

- Les routards du web : «Nous sommes comme des fourmis»

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