Les sous vaillants de la Résistance

par Tania Kahn
publié le 4 décembre 2012 à 18h35

Coutumier de la Seconde Guerre mondiale, le réalisateur David Korn-Brzoza, auteur du documentaire la Délation sous l'Occupation , fraye à nouveau son chemin sur les sentiers du passé, entre archives vidéo, documents d'époque et témoignages d'anciens résistants, réunis pour un angle inédit et passionnant : l'Argent de la Résistance .

Car, en 1942, l'argent est au cœur de toutes les rivalités politiques. Exilé à Londres, le général de Gaulle se contente des subsides consentis par l'Angleterre, tandis que Roosevelt se méfie de l'ascension de cet «aspirant dictateur» . Pour exister à côté de ses puissants alliés et obtenir leur soutien matériel, De Gaulle doit légitimer son pouvoir et fédérer les principaux mouvements de résistance. Dans cette épopée, Jean Moulin sera son porte-parole, et l'argent un argument de taille. Acculés à l'immobilisme faute de moyens, les chefs des groupes de résistants Henri Frenay (Combat), Emmanuel d'Astier de La Vigerie (Libération Sud) et Jean-Pierre Lévy (Franc-Tireur) n'ont d'autres choix que celui d'accepter la tutelle financière du général. Et, au final, d'adhérer au gaullisme. Ainsi, dès janvier 1942, Jean Moulin est parachuté avec 1,5 million de francs en poche. Une somme qui permet à la Résistance de dépasser les simples actions de propagande pour entrer dans une phase de lutte armée et de sabotages. Mais, très vite, la bataille de l'argent s'intensifie et les pistes se brouillent. Churchill, incité par Roosevelt, prive la France libre de sa manne financière tandis qu'Henri Frenay pactise avec les Américains et monnaie de précieux renseignements sur le général de Gaulle.

Si l'argent est une arme politique , sur le terrain, c'est surtout un enjeu de survie. Les besoins des résistants, rejoints par de nouvelles recrues préférant la clandestinité à l'exil en terre allemande, imposé au titre du service du travail obligatoire, vont croissant. Affamés, sans équipements et mal chaussés : la situation est intenable, explosive. Mais Londres ne répond plus. La solution viendra de l'intérieur. Une sorte d'autofinancement décrété «hold-up patriotique» . «On réquisitionnait les bêtes chez les gens : "Vous avez trois cochons, il faut en donner un"» , se rappelle Roger Ranoux, un ancien résistant. Plus audacieux, ces soldats de l'ombre s'attaquent aux banques et bureaux de poste. Habitués à ces incursions, les guichetiers patriotes leur remettent volontiers les deniers. Et, clandestins mais pas voyous, les résistants s'acquittent d'un bon de réquisition signé, une quittance valant remboursement à la Libération.

À l’apogée de leur art, les maquisards se sont emparés, à l’été 1944, d’un magot de 2 milliards de francs, propriété de la Banque de France, niché dans un wagon de train. Le plus gros casse de l’histoire. Au total, entre les sommes parachutées et le brigandage, on estime le budget de la Résistance de 8 à 10 milliards de francs. C’est peu, comparé au coût de l’Occupation, mais assez pour éveiller les soupçons à la Libération.

Paru dans Libération du 4 décembre 2012

L'Argent de la Résistance de David Korn-Brzoza

_ France 2, ce soir, 22h50.

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