«Lollipop Chainsaw» : Massacre à la gameuse

Le japonais Suda 51 envoie une pom-pom girl débiter du zombie.
par Olivier Seguret
publié le 3 juillet 2012 à 14h57

La dépression aiguë que traverse le game design japonais, autrefois triomphant, suscite deux types de réactions chez les développeurs de l'Archipel. L'une consiste à adopter les standards d'un supposé goût international, c'est-à-dire surtout américain, au risque de diluer leur forte identité. L'autre stratégie de survie est incarnée par l'une des figures les plus extravagantes et indomptables de la scène nippone : Goichi Suda, créateur de Killer 7 et de No More Heroes , plus connu des gamers sous son pseudo, Suda 51. Avec ses jeux à la fois très personnels et bizarres, foisonnant d'idées et parfois brouillons, il élabore à grande vitesse son propre modèle qui ne doit rien à personne mais beaucoup à l'histoire et à la culture du jeu, ainsi qu'à celles des comics ou du cinéma bis. Lollipop Chainsaw , son dernier rejeton furieux, est un exemple particulièrement décapant de cette méthode.

En apparence, ce titre emprunte les canons de genres établis. Son programme, sa facture et sa nervosité le rattachent aux catégories du combat et de l'action, avec leurs codes hérités de l'arcade tels les combos, coups spéciaux et jauges de furie. Mais ces références sont transposées dans une féerie macabre et fortement sexuée, le joueur incarnant une pom-pom girl tout à fait délurée et armée d'une tronçonneuse, opposée à des hordes de morts-vivants. Qu'ils soient obèses, graveleux ou se plaignent de leurs hémorroïdes, les zombies se font débiter par l'héroïne avec la légèreté sautillante d'une libellule, la puissance d'un bûcheron du Manitoba et la désinvolture d'une garce. Elle répond d'ailleurs au prénom sadien de Juliet -- rappelons à nos chères têtes blondes que, chez le divin marquis, son roman Juliette est sous-titré «ou les prospérités du vice» , association très adéquate aussi pour ce Lollipop . Dans l'intérêt de son boyfriend, qui menaçait de virer zombie suite à une morsure, Juliet l'a décapité lui aussi, mais elle y reste très attachée et porte sa tête en sautoir, dans l'espoir de la greffer plus tard sur un corps sain. Bavarde mais spirituelle, cette tronche tranchée reste un partenaire valable de Juliet (et du joueur) grâce à ses encouragements souvent utiles pour éradiquer l'atroce épidémie qui étreint la ville américaine moyenne de San Romero (no comment)…

L’inventivité continue et l’abondance de trouvailles baroques charrient aussi leur lot de défauts ou mauvaises idées, mais le rythme et la vigueur du jeu donnent une force dynamique à son imagination. Celle-ci confine à la démence, dans la conception des monstres et boss notamment : on n’oubliera pas de sitôt ce poulet mort-vivant géant et encore moins le fantastique Zed, zombie punk rock qui bombarde l’héroïne avec les phylactères de ses propres cris, crachés par sa bouche (le personnage est judicieusement doublé par Jimmy Urine, leader des Mindless Self Indulgence).

On aura compris que Lollipop Chainsaw est avant tout une comédie, et c'est sans doute le genre qui manque le plus au jeu vidéo. Une comédie à la fois énorme et fraîche, insolente et sarcastique, d'un goût pas toujours exquis mais enlevée et franchement amusante.

Sa richesse est davantage conceptuelle que technique, les graphismes ne cherchant pas à rivaliser avec ceux d’une superproduction. Avec relativement peu de moyens, des délais de développement raccourcis mais une feuille de route déterminée, Suda 51 a donné une nouvelle preuve de sa plus belle qualité : son inconvenante excentricité.

Lollipop Chainsaw développé par Grasshopper Manufacture pour Warner Games, sur PS3 et Xbox 360, 60€.

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