«Lost» en transition avant l’ultime saison

Les scénaristes ont bouclé la cinquième année. Reste à conclure sans bavure la mythologie.
par Alexandre Hervaud
publié le 28 avril 2009 à 11h48
(mis à jour le 28 avril 2009 à 14h00)

La rencontre a lieu au Fouquet's. Devant l'entrée, des fans nous alpaguent. «Posez-leur de bonnes questions, vous devez leur demander ce qui se cache dans l'ombre de la statue.» Qui donc inspire une telle ferveur teintée de méfiance ? Damon Lindelof et Carlton Cuse, producteurs et scénaristes de la série culte Lost , invités du festival Jules-Verne . Dans un salon, ils enchaînent les interviews, tandis que deux acteurs du show, Evangeline Lilly (Kate) et ­Michael Emerson (Benjamin Linus) font de même quelques mètres plus loin.

Il est 13 heures, et les deux manitous qui gèrent Lost depuis le départ de J. J. Abrams (sa carrière cinématographique a décollé juste après le pilote, son Star Trek sort en mai) ont faim. Une assiette ­salade-fromage sur les genoux, ils sont prêts. «Pendant que l'un de nous parlera, l'autre pourra mastiquer» , explique Cuse. Le travail d'équipe : base de leur collaboration. Moins d'un mois avant la diffusion outre-Atlantique du dernier épisode de la saison 5 (qui passera cet été sur TF1), Cuse et Lindelof sont presque en vacances. Et très touchés de l'accueil réservé en France à la série. « En temps normal, on vit un peu comme des moines. Venir ici, pour nous, c'est comme sortir du temple. C'est ­excitant. Faire un show, c'est loin d'être aussi glamour qu'on le pense. On bosse quatorze heures par jour. La semaine dernière, on était encore sept jours sur sept dans un bureau pour boucler l'épisode final de la saison. Le culte autour de Lost, on aura le temps d'y penser plus tard, quand on sera reclus et ­chômeurs.»

Cette pique sur leur avenir est tout sauf anodine. Lost , créée en 2004, s'achèvera en 2010. Six saisons et pas une de plus pour conclure une mythologie où s'entremêlent une île mystérieuse, des naufragés voyageant dans le temps, un monstre de fumée noire et quelques ours polaires. Sans compter une ramification plutôt complexe de personnages qui ont forcément le bon goût de mourir pour revenir quelques épisodes plus tard, dans la pure tradition X Files .

DR

Si la cinquième saison répond, avec parcimonie, à quelques questions, les auteurs ont, sans surprise, ouvert plus de portes qu'ils n'en ont fermé. La pression pour achever sans bavure cette épopée se fait déjà ressentir. «Ça ne nous hante pas, même si on blague beaucoup là-dessus» , reconnaît Cuse. «David Chase, le créateur des Sopranos, a disparu après la fin de sa série. Il est parti en France pendant plusieurs mois et refusait toutes les demandes d'interview. On plaisante souvent en se disant que ça pourrait être notre sort, et si c'est une excuse pour revenir en France, qu'il en soit ainsi. Nous, on aime la façon dont ça va se terminer.» Lindelof insiste : «Cette conclusion, on la prépare depuis la fin de la première saison.»

Si la qualité des deux dernières saisons rassure, difficile de faire l’impasse sur les saisons 2 et 3, qui ont vu, non sans raison, déserter un bon nombre de spectateurs. Rythme mou et intrigues fadasses en avaient découragé plus d’un. La saison 4 avait rectifié le tir en repartant sur de nouvelles bases, impeccablement explorées par les derniers épisodes. Après un congé d’un mois, ils retrouveront début juillet leur équipe de coscénaristes (une petite dizaine, en tout) pour poursuivre l’écriture de la sixième saison, dont le tournage débutera fin août.

A la veille du ­retour de la loi Hadopi à l'Assemblée nationale, difficile d'éviter la question du piratage, leur série étant l'une des plus téléchargées sur le Net. Pour Carlton Cuse, le modèle économique de la télévision, avec ses délais aberrants de diffusion à l'étranger, est à revoir. «L'industrie du cinéma prévoit de plus en plus des sorties mondiales simultanées, et la télévision devra suivre. En Chine, les pirates doublent un épisode deux jours après sa diffusion américaine. Si des bénévoles peuvent doubler ça en deux jours, pourquoi devrait-on attendre trois mois pour avoir un doublage officiel ? Les entreprises qui distribuent des séries à l'international doivent comprendre que l'on vit dans un monde unique, technologiquement parlant. Et ils doivent être capables de fournir une série partout quasiment au même moment.» L'attaché de presse se rappelle à notre bon souvenir, nous indiquant la sortie. Pas le temps d'évoquer l'ombre de la statue. Tans pis, ils n'auraient sans doute pas ­répondu.

Paru dans Libération du 28 avril 2009

Sur le même sujet :

_ « Lost » saison 4 : Retour sur le futur

_ L'aversion originale des studios

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus