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Libération

«Mad Men», du beau, du bon, du bien tourné.

par Isabelle Hanne
publié le 16 septembre 2010 à 18h30

Mad Men série créée par Matthew Weiner

_ Saison 3, épisode 1/13, ce soir à 22 h 15 sur Canal +.

Etats-Unis, début 1963. On dénombre les premières victimes américaines au Vietnam, où l’engagement militaire va croissant. Marilyn Monroe s’est suicidée quelques mois plus tôt. Et le monde n’est pas passé loin de la guerre nucléaire, avec la crise des missiles de Cuba. Quelque part à Manhattan, dans les bureaux de Sterling Cooper sur Madison Avenue, les tensions sont à l’image des secousses et répliques de ce monde en transition. L’agence de publicité a été rachetée par une société britannique, et un nouveau directeur, chargé de faire le ménage parmi les troupes, vient de prendre ses fonctions - l’occasion de savoureux chocs culturels British versus Yankees : bienvenue dans l’ère du capitalisme mondial.

Au début de cette 3e saison, les cyniques pubards de Mad Men sont en plein désarroi. Même Pete Campbell (Vincent Kartheiser), même Roger Sterling (John Slattery), pourtant pas les moins requins, ont peur du déclassement. Le visage en permanence renfrogné, seul Don Draper (Jon Hamm), le personnage central de la série, semble imperméable au malaise qui l'entoure. Et pourtant. Pourtant, Don est tout autant en crise, aux prises avec ses démons, son passé trouble, sa nouvelle paternité et ses adultères. Malgré ses costumes et ses manières impeccables, Don n'est jamais totalement à sa place. Personnalité multiple, lâche et audacieux, séducteur ou méchant, le self-made-man fascine : d'abord enfant de personne, puis vendeur de fourrure, avant de passer prince de la pub.

La série navigue en permanence entre deux mondes, deux quasi-huis clos. Celui du travail, où s'affrontent les bureaux privatifs des chefs et le vaste open space , ruche à standardistes et à secrétaires potiches. C'est là que se nouent les intrigues, là où naissent ambitions et luttes de pouvoir. Second huis clos : le foyer familial de Don Draper dans la banlieue new-yorkaise. Summum du confort middle class , tout y est douillet, propre, dernier cri, étriqué. Dans l'intimité de la maison, ce sont toutes les problématiques du quotidien qui sont traitées : les rapports parents-enfants, un grand-père qui vieillit, une petite fille confrontée à la mort… Tout au long des épisodes, on ne voit guère d'autre décor que ces deux lieux, le bureau et le foyer ; et pourtant, c'est l'Amérique tout entière que la série semble avoir saisie. Avec, dans un subtil arrière-plan, le déroulé de toutes les préoccupations de l'époque : le Vietnam, les discriminations et les droits civiques, l'homosexualité encore taboue. Surtout, Mad Men propose une réflexion sur la place de la femme dans la société moderne, avec un habile parallèle entre Betty Draper (la ravissante et fragile épouse de Don, jouée par January Jones), femme au foyer qui s'ennuie, et Peggy Olson (Elisabeth Moss), jeune femme indépendante, avec un «vrai» boulot (rédactrice pub) et son propre appartement downtown.

Créée par Matthew Weiner ( Les Soprano ), diffusée et produite par la chaîne câblée AMC, et plébiscitée par la critique (entre autres, Emmy Award de la meilleure série dramatique en 2008, 2009 et 2010), cette 3e saison de Mad Men nous plonge au cœur des angoisses de l'Amérique des sixties. Cette série très sophistiquée reproduit avec soin l'esthétique de ces années-là : la mode, la nourriture, la déco… Les habitudes de consommation, avec la télé au milieu du foyer, et la cigarette omniprésente, du bureau à l'avion en passant par l'hôpital. Grâce aux fréquents cadrages en plans moyens, l'image est à la fois photo de famille et cliché sociologique. Avec ce fort sentiment de réalité et d'authenticité historique, la série passionne : elle en dit tout autant sur les années soixante que sur le monde d'aujourd'hui. On se dit que, finalement, le monde a peu changé depuis.

Paru dans Libération du 16 septembre 2010

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