Mal au pixel, les doigts dans le circuit

par Marie Lechner
publié le 25 juin 2010 à 10h34
(mis à jour le 25 juin 2010 à 17h38)

«Imaginons que le monde se fige d'un coup. Que feriez-vous si vous aviez la possibilité de tout reconstruire, tout réinventer ?» Ykon Game , jeu de plateau imaginé par le collectif éponyme, est un remake du World Game de Buckminster Fuller , développé dans les années 60. Pour l'architecte américain, inventeur du dôme géodésique, le jeu était un outil idéal pour comprendre et trouver des solutions aux problèmes de l'humanité (faim, illettrisme, santé, environnement). Ykon Game en est une déclinaison contemporaine, mais plutôt que de panser les plaies du vieux monde, il espère susciter des idées nouvelles qui pourraient altérer radicalement le cours des choses.

Invité par le festival Mal au pixel, le collectif a investi dimanche dernier la galerie Eof, reproduisant un planisphère géant à même le sol. Parmi les scénarios suggérés par les participants, le «reset» général : les bases de données, les comptes bancaires, les horloges des ordinateurs sont remises à zéro et un nouveau logiciel installé qui prendrait en compte des indicateurs basés non sur le PIB mais le degré «d'humanité» .

Ykon Game (DR)

Mal au pixel, petit frère parisien du festival finlandais Pixelache, voué aux cultures électroniques, s'attelle aux questions environnementales et à l'accès aux technologies. Disséminée sur une douzaine de lieux, cette cinquième édition convoque «des regards non occidentaux» sur ces questions, en invitant des artistes d'Asie, d'Afrique, d'Amérique latine. Adeptes de la récup, ils bricolent avec les outils du bord, privilégiant le low-tech et le partage des savoirs.

Confronté au quotidien à des coupures de courant, Jean Katambayi Mukendi a imaginé un prototype en carton bourré d'électronique qui permet de visualiser ces chutes de tension. «Je suis moi-même victime de ces variations brutales dues à une exploitation anarchique du réseau électrique en République du Congo, la démographie galopante dans les villes où chacun se raccorde au dispositif» , dit l'artiste dont la sculpture s'est retrouvée bloquée deux jours durant par les douanes, peu sensibles à son art, qui estimaient que l'appareil électrique ne répondait pas aux normes NF.

Les artistes de Bombay Ashok Sukumaran et Shaina Anand imaginent des usages inédits des médias en direction des populations locales, documentés à la galerie BenJ. Ils détournent une caméra de surveillance à Jérusalem Est pour la mettre entre les mains de résidents palestiniens. A New Dehli, ils raccordent des télévisions et du matériel de surveillance bon marché pour créer un réseau local de communication. Dans un marché de Dakar, ils organisent des séances de micro radio à l'aide d'une antenne, de 15 transistors et d'une batterie de voiture.

Même credo «do it yourself» dans le projet Re:farm the City , qui vise à permettre au quidam de créer son propre potager d'appartement. Pendant cinq jours, dans la galerie Mycroft en chantier, ces jardiniers électroniques venus d'Espagne, d'Argentine et du Portugal, animent un atelier pour créer une ferme mobile installée dans de vieilles valises ramassées dans la rue, développer ses propres outils électroniques permettant de contrôler aussi bien l'hygrométrie, la lumière, la température et d'entretenir les cultures à distance lorsqu'on part en vacances.

Le projet est open source , toutes les instructions sont en ligne, le but ultime étant d'encourager la production et la consommation de produits locaux. La communauté de fermiers urbains est en train d'essaimer à New York, Madrid, Barcelone, Buenos Aires et désormais Paris. Ils présenteront leur projet samedi au CentQuatre, lors d'un séminaire autour des hacklabs , lieux de création entre art, science et citoyenneté.

Tant qu'à cultiver ses fraises, autant imprimer aussi ses propres vinyles. A la galerie Nuit d'encre, Yuri Suzuki a installé un studio d'enregistrement amateur aux allures de cuisine. L'artiste grave en direct des dubplates avec les groupes de musique locaux, réalise un moule puis presse un disque à partir de plastique fondu coloré. Le son est un peu crasse, mais quand on se lasse du disque, il suffit de le passer au four et d'en imprimer un nouveau. Dans une version encore plus basse def, Gaël Angelis présente à Ars Longa ses fragiles phonographes entièrement réalisés en papier. Sur les disques en carte à gratter gondolés, creusés de sillons, erre une aiguille amplifiée à l'aide de cornets crachotants.

Niwouinwouin, the fall of the supers (@ Jean Jullien)

Performances sonores qui sont au cœur de la riche programmation musicale du festival, avec ce soir à la Java une affiche explosive alignant Scorpion Violente et son nihilisme synthétique, les comptines electro tordues de Niwouinwouin , le harsh noise de Fred Nippi ou le rock'n'roll dada d'Elvis Trauma Center.

Paru dans Libération du 24/06/2010

Festival Mal au pixel

_ Jusqu’au 27 juin, à Paris.

_ Rens. :  malaupixel.org

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