Menu
Libération

Mal au pixel: ouvre l'œil !

par Marie Lechner
publié le 27 octobre 2012 à 13h13
(mis à jour le 28 octobre 2012 à 10h39)

«Vous cherchez de l'eau ?» plaisante une hôtesse à l'entrée d'un peep show de la rue Saint Denis, observant notre curieux manège. Des ondes plutôt. En maraude dans le quartier avec l'artiste Benjamin Gaulon armé d'un récepteur vidéo, on tente d'intercepter les images des caméras de surveillance sans fil (2,4Ghz), produits électroniques bon marché utilisés par les échoppes ou les particuliers. Sur le moniteur s'affiche une image neigeuse qui devient plus nette à mesure qu'on se rapproche du signal: un intérieur d'appartement avec des hommes en train de repasser, sans doute un pressing. Plus loin, c'est un couloir désert qui se dessine. On se prend vite à ce petit jeu de passe muraille, consistant à regarder ce que regardent les caméras.

«À Amsterdam ou Londres, ce type de caméras pullule, au dessus des caisses des magasins pour surveiller le personnel, dans les cabines d'essayages, les lits des bébé... La plupart des gens qui les utilisent pensent sécuriser leur domicile, ils ne se rendent pas compte qu'ils diffusent leur signal dans la rue. N'importe qui à l'extérieur peut le recevoir. Ce n'est pas très différent de Facebook, où les gens déballent leur vie en ligne.» Gaulon cartographie leurs emplacements, il réalise aussi des boîtiers qu'il fixe dans la rue afin de révéler la présence de ces caméras et d'en exposer les vues au public. Ce week-end, il organise des promenades à la recherche de ces signaux dans le cadre de Mal au pixel .

Le festival, placé sous le signe de la culture libre et de l’hacktivisme, invite des artistes et chercheurs dont les œuvres interrogent cette culture contemporaine de la transparence. Derrière le design rutilant des tablettes et la convivialité des interfaces, se dissimulent des technologies de plus en plus intrusives et un maillage numérique auquel il devient difficile d’échapper.

Surveillance Chess

Les artistes présentés à la Gaîté lyrique entretiennent une saine paranoïa sans pour autant renoncer à s'amuser. Du 27 octobre au 30 décembre, leurs installations et prototypes détournent les technologies de surveillance et de contrôle, exploitent leurs failles et imaginent des usages inédits. Comme Surveillance Chess , performance des Zurichois !Mediengruppe Bitnik, destiné à une seule personne: l'opérateur qui s'ennuie derrière ses écrans de contrôle. L'un des membres du collectif se plante sous l'œil d'une caméra de surveillance, ouvre sa valise jaune et active un bouton. Interférant avec le signal, il prend le contrôle de l'image, remplaçant subitement la vue de surveillance par un plateau d'échec et invitant le contrôleur à jouer «Vous êtes blanc. Je suis noir. Appelez-moi pour me dire quel coup vous jouez. Voilà mon numéro.» Une intervention qui vise à rétablir l'égalité entre observeur et observé, et qui transforme le système de surveillance unidirectionnel en moyen de communication ludique.

Les berlinois de Telekommunisten ont eux mis au point une série de technologies de «mé-communication» , concevant de nouvelles manière de connecter les gens, plus intimes et locales, comme le service gratuit R15N qui revisite le téléphone arabe. Si vous avez un message à diffuser, rendez vous à la galerie, au quatrième étage. Appuyez sur le bouton call et attendez que le téléphone rouge sonne. Ce dernier vous mettra en contact au hasard, avec l'une des personnes préalablement enregistrées à ce service. À laquelle vous confiez votre message de vive voix. Elle sera elle-même mise en rapport avec d'autres personnes à qui transmettre le message et ainsi de suite jusqu'à ce que toute la communauté soit avertie. Avec pas mal de chance que le message se perde en route. Mais ce qu'on perd en exactitude on le gagne en convivialité.

R15N

«C'est une critique par l'absurde des plateformes de communication existantes» , admet Dmytri Kleiner des Telekommunisten, qui veut inciter les gens à réfléchir à la façon dont les gouvernements ou acteurs privés tels Facebook, Google, etc. interfèrent dans nos échanges et dictent comment et avec qui on a le droit de communiquer. Julian Oliver et Danja Vasiliev interrogent eux aussi «cette confiance sans réserve qu'on place dans des infrastructures que nous ne comprenons pas» . Une «méconnaissance qui nous rend vulnérables» , disent les artistes qui s'emploient à «dissoudre les mythes et limitations créés par les technologies modernes qui nous sont imposées.»

À la Gaîté, ils présentent leur fameux Newstweek , un outil qui permet de «rétablir les faits» en hackant l'actualité en ligne. L'objet discret se plante dans une prise et permet à un personne distante de modifier en temps réel des gros titres des journaux transitant par un point d'accès wifi public. Le projet, récompensé à l'Ars Electronica, questionne la fiabilité des médias on line et la confiance qu'on leur accorde, permettant à chaque citoyen de distordre les infos et réaliser sa propre propagande. Le manuel de fabrication détaillé est en ligne, accessible à tous.

Memepol

L'inquiétant dispositif panoptique Memepol II de l'artiste Timo Toots confronte le spectateur frontalement à toutes les données éparses qu'il laisse traîner en ligne. Le système scanne votre passeport ou carte d'identité et affiche progressivement votre «portrait informationnel» , fouillant moteurs de recherche, réseaux sociaux et données administratives. Dans son pays, surnommé e-Estonie, ça fait dix ans que tous les citoyens ont une carte d'identité électronique qui leur donne accès à leurs données personnelles, grâce à un système qui interconnecte toutes les banques de données gouvernementales. Sur l'écran, s'affichent nom, prénom, photo, centres d'intérêt et cercle d'amis, mais aussi où vous habitez, ce que vous gagnez, qui vous embauche, vos diplômes, les médicaments que vous consommez, la voiture que vous conduisez... «En Estonie, tous les champs vont s'afficher.En France, c'est plus approximatif, il est plus difficile d'accéder automatiquement à toutes ces données... pour l'instant...»

Mal au Pixel #7, Network Hack

_ jusqu’au 30 décembre à la Galerie de la Gaîté Lyrique

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique