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Libération
Critique

Malin comme un «Fringe»

Série. La nouvelle mécanique infernale du créateur de «Lost», sur TF1.
par Bruno Icher
publié le 10 juin 2009 à 6h51
(mis à jour le 10 juin 2009 à 6h51)

Comme tous les projets de J.J. Abrams, Fringe est une gigantesque malle à jouets dans laquelle on est toujours sûr de trouver de quoi s'amuser. Une fiction de vingt épisodes bien tordue et addictive - c'est la moindre des choses -, mais aussi une noria de petites et grandes énigmes à résoudre, si le cœur nous en dit, sur les ramifications du Net où le petit démon d'Hollywood a étendu depuis longtemps ses talents de conteur d'histoires. Abrams, créateur d'Alias et de Lost pour la télé, réalisateur au cinéma de Mission : Impossible 3 et Star Trek, producteur de Cloverfield, premier film catastrophe tourné à une seule caméra, n'aime rien tant que faire exister ses histoires hors de l'écran où elles sont confinées. Du marketing, certes, mais pas seulement.

Beurre. Avec Fringe, le manège infernal recommence selon les mêmes principes. D'abord, la série introduit une avalanche de phénomènes inexplicables, qui mettent la raison à la torture et font douter, au bout du compte, de la réalité du monde dans lequel les personnages évoluent. Tout démarre en roue arrière avec l'épisode pilote de ce soir, que TF1 a sagement déprogrammé la semaine dernière à cause de son étrange parenté avec la catastrophe du Rio-Paris. Sur un avion de ligne reliant l'Europe aux Etats-Unis, les passagers se mettent à fondre comme une motte de beurre dans un four à chaleur tournante. Entrent en piste deux des protagonistes, Olivia (Anna Torv), jeune agente du FBI, et son chef Broyles (impeccable Lance Reddick). Comme personne ne comprend goutte à l'affaire, la belle Olivia fait appel à un scientifique de haut vol, le professeur Bishop qui, dans les années 60 et 70, a mené des expériences osées pour le gouvernement. Léger contretemps, le génie est bouclé dans un asile de dingues depuis vingt ans, à la suite d'une explosion dans son labo et, il faut bien le dire, d'une ingestion massive et systématique de LSD.

Pour traduire en langage courant les intuitions du grand homme souffrant d’une forte propension à la divagation, un quatrième membre vient compléter l’équipe : Peter, fils du professeur, lui-même scientifique de bonne tenue mais traficoteur notoire et, par-dessus le marché, en bisbille avec son givré de père depuis que ce dernier a enfilé la camisole.

Voila l’équipe au grand complet et le système narratif, immuable, peut se mettre en place. A chaque épisode, un phénomène bizarre que la petite bande tâche de comprendre, puis d’éradiquer. Abrams, grand amateur de légendes urbaines, exploite à fond le fantasme vieux comme la Guerre froide qui veut que des agences américaines secrètes n’ont pas pu effacer les séquelles embarrassantes de leurs tentatives à créer le soldat parfait qui bottera le cul des communistes.

Aberration. Par la suite, il sera question d'hallucinations mortelles, de chimères sanguinaires, de rêves prémonitoires, de dématérialisations, téléportations et autres fantaisies à propos desquelles notre bonne vieille science n'a pas dit son dernier mot. A l'évidence, il y a là une filiation, voire un hommage à Twilight Zone, la série qui a déclenché chez Abrams son goût pour l'étrange mais aussi sa vocation de cinéaste. Pour autant, contrairement à son modèle, Fringe se déguste dans l'ordre de ses épisodes, si TF1 a le bon goût de les diffuser ainsi. En arrière-plan, une menace majeure (complot politique ? association de malfaiteurs ? terrorisme ? aberration scientifique ?) prend de plus en plus d'importance, un peu à la manière d'X-Files en son temps, et laisse ouverte la porte à une deuxième saison. Au point que l'ultime seconde du dernier épisode, dans sa simplicité sidérante, vaut à elle seule le coup de se taper intégralement cette première saison.

Chauve. Comme beaucoup de séries actuelles, Fringe accommode au goût du jour des recettes pas si neuves que cela. En revanche, fidèle à son image de marque, Abrams a encore frappé sur les passerelles qui mènent de l'écran télé à celui du Net. On peut ainsi guetter l'apparition furtive d'un mystérieux chauve tiré à quatre épingles qui figure dans chaque épisode. On peut aussi s'amuser à décrypter le code sophistiqué dissimulé dans le générique, code avec lequel il est vivement conseillé de former des mots, et même des phrases. Il est également possible de choper au vol des adresses de sites web aperçues dans la série et se précipiter sur l'ordinateur pour voir ce que ça donne (le plus évident est celui de la multinationale Massive Dynamics).

En cas de paresse caractérisée, on peut aussi faire un tour sur fringepedia.net, le site collaboratif de référence sur la série qui répond à des tas de questions (même celles auxquelles on n’a pas pensé) et en pose d’autres encore plus vicelardes, prolongeant ainsi le plaisir du savoureux casse-tête. Mais ce n’est pas obligé.

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