Mauvais retirage pour le Numéro 6

par Edouard Launet
publié le 16 février 2010 à 10h32

Alors, ce remake du Prisonnier , il grimpe haut sur l'échelle de la déception ? Assez haut, en effet. Mais comment aurait-il pu en être autrement ? Sauf à ressusciter Patrick McGoohan dans sa veste à liseré blanc et à le réexpédier fissa dans le joli village gallois de Portmeirion, on ne voit pas comment il était possible de s'en sortir dignement.

Plus qu'un remake, le projet réalisé par le Britannique Nick Hurran est d'ailleurs présenté comme une «suite» . Le village est désormais quelque part en Namibie, et cette fois, c'est Jim Caviezel, agent démissionnaire d'une boîte d'analyse des comportements, qui n'arrive plus à en sortir. C'est bien dommage, car la situation est pénible pour tout le monde.

Diffusé outre-Manche en 1967 et 1968, l'original était non sense et understatement . La mouture XXIe siècle est, elle, bavarde et démonstrative. La série conçue et jouée par McGoohan était le versant complotiste du Carnaby Street sixties , avec éloge de l'individualisme au moment où, dehors, on pensait plutôt à des solutions collectives. Celle de Hurran est aussi le reflet de son époque : c'est un vide idéologique habillé de tous les tics formels qui accablent les séries depuis Twin Peaks . Hier c'était la parano de la guerre froide qui, en filigrane, mettait la série et le Numéro 6 sous tension ; aujourd'hui, c'est l'évocation peu subtile du terrorisme. Sinon les grosses bubulles attrape-fuyards sont toujours là, merci pour elles, et les Mini Moke sont remplacées par des… Dauphine !

Le principal intérêt de ce, comment dire, machin, est son absence totale de propos. Ça laisse du temps pour s'intéresser aux images. Comment filmer du rien ? Sous quel angle ? Avec quelle musique insignifiante ? Voilà de vrais problèmes sur lesquels Nick Hurran, réalisateur de l'immense les Ex de mon mec (2005), s'est penché avec application et sérieux. Le spectateur, haletant, se demande quel nouveau clicheton va surgir dans la scène suivante. C'est ce qui rend supportable le visionnage de la chose. Et c'est aussi l'aune à laquelle les vieux réacs ne manqueront pas de mesurer la distance parcourue en quarante ans par la télévision. N'y vont-ils pas un peu fort ?

Les six épisodes de ce «prisonnier, la suite, le café et l’addition» ont été diffusés en novembre sur le réseau américain AMC, producteur avec la chaîne anglaise ITV, et l’accueil critique a été plus que mitigé. On parle toujours d’un film, bien que le réalisateur pressenti, Christopher Nolan, ait déclaré forfait. S’il vous plaît, non.

Paru dans Libération du 15 février 2010

«Le prisonnier» de Nick Hurran

_ épisodes 1 et 2/6.

_ Canal+, [hier] soir 20 h 45.

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