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Libération

MegaUpload préparait-il son entrée en bourse?

par Sophian Fanen
publié le 19 avril 2012 à 12h44

Comme dans un bon polar financier, l'équipe chargée de la défense de Kim Dotcom et des autres responsables de MegaUpload arrêtés le 19 janvier entre Hong Kong et la Nouvelle-Zélande ménage un redoutable suspense à épisodes (qui d'ailleurs ferait un bon film de David Fincher).

Le dernier rebondissement en date se trouve sur le blog spécialisé en actu du p2p Torrentfreak.com , l'un des canaux de diffusion préférés de MegaUpload depuis le début de l'affaire, où Kim Dotcom avance que sa société préparait son entrée en bourse lorsque la justice fédérale américaine a fait saisir ses noms de domaine et ses serveurs en l'accusant de multiples infractions au droit d'auteur, de racket et de conspiration.

Suivant les informations du bon Kim, TorrentFreak a contacté un certain Robert Lim, présenté comme «un conseiller financier basé à Hong Kong» . Il y a bien une firme nommée LIM Advisor à Hong Kong, mais impossible en fouillant en ligne d'y repérer avec certitude qu'un Robert Lim y travaille... D'autant que le LIM en question n'est pas un nom de famille mais la contraction de Long Investment Management , et Long le nom de George Long, le fondateur de la société. On misera donc sur un autre Robert Lim...

Dans ce flou certain, Robert Lim explique donc que MegaUpload était depuis quelque temps entré en relation «avec plusieurs des quatre grands cabinets comptables internationaux [PricewaterhouseCoopers, Deloitte, Ernst & Young et KPMG, ndlr], qui traitent la grande majorité des audits pour les entreprises cotées en bourse. Ces quatre cabinets ont été invités à être le commissaire aux comptes [de MegaUpload] et à travailler pour [...] pour préparer une introduction en bourse.»

Si la défense de MegaUpload laisse filer cette information aujourd'hui, c'est pour démonter encore un peu plus les accusations réunies par le juge américain. En effet, quelle «entreprise criminelle» , puisque c'est ainsi qu'est qualifié le cyber locker dans le dossier judiciaire , demanderait à des spécialistes reconnus de l'audit de venir fouiller dans ses dossiers, estimer sa rigueur comptable et sa capacité à gagner un max d'argent? Selon le procureur, MegaUpload aurait encaissé 175 millions de dollars de recettes entre septembre 2005 et janvier 2012, dont 150 millions sur les seuls abonnements premium et 25 millions pour les recettes publicitaires. Pas mal pour une entreprise employant une trentaine de personnes seulement.

«Malgré le ralentissement économique mondial, le secteur des technologies semble pouvoir encore mener les introductions en bourse les plus réussies, continue Robert Lim. Par conséquent, Megaupload avait une bonne chance d'être une introduction en bourse très réussie, avec une valeur estimée à au moins deux milliards de dollars américains.»

Reste beaucoup de questions soulevées par ces révélations. Tout d'abord, le travail d'audit a-t-il commencé? A-t-il porté sur la nature des fichiers déposés et échangés via les serveurs de MegaUpload (on peut l'imaginer, vu la pression mise sur MegaUpload par l'industrie des loisirs depuis des années) ou seulement sur son modèle économique et sa structure d'entreprise? MegaUpload serait-il entré en bourse aux Etats-Unis ou dans un pays où la justice était moins à cran? Hollywood et les majors du disque auraient-ils pu déposer des recours pour bloquer cette entrée en bourse? Et enfin, tout ça est-il vraiment réaliste?

Les prétendues prétentions boursières de MegaUpload complètent en tout cas ses annonces faites mi-décembre, déjà auprès de TorrentFreak. Kim Dotcom expliquait alors vouloir transformer son Mega groupe en «l'un des plus gros clients de l'industrie culturelle pour oublier ces conneries de "sites voyous". On va payer les créateurs de contenus!» Ceci grâce à deux plateformes de téléchargement légal: Megabox pour la musique, sur le modèle d'iTunes, et Megamovie pour les films. Le tout financé par la publicité, avec pour objectif de payer les artistes à hauteur de 90% sur leurs ventes... Cet échafaudage ambitieux n'a jamais fonctionné à grande échelle, mais MegaUpload a déjà montré à de multiples reprises sa capacité à répondre avec une efficacité redoutable à la moindre envie de ses utilisateurs boulimiques de culture.

De là à imaginer que la fermeture de MegaUpload est tombée à pic pour l'industrie du cinéma et de la musique, il n'y a qu'un pas déjà franchi par plusieurs médias dès la fin du mois de janvier.

Si un procès MegaUpload se tient un jour (c'est-à-dire si le procureur pense qu'il a assez de matière pour y aller), on saura la vérité sur cette histoire d'entrée en bourse. En attendant, aucun service légal n'a remplacé la machinerie mise au point par le malin Kim Schmitz. Une machinerie pleine de zones d'ombres, mais qui semblait bien à deux doigts de laisser derrière elle le vieux monde du commerce culturel.

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