Miss Gloss S01E06: Cliquer «Tous», «Supprimer», «Oui»

Toutes les deux semaines, retrouvez sur Ecrans.fr les maraboudficelles de Miss Gloss.
par Miss Gloss (recueilli par Stéphanie Estournet)
publié le 22 décembre 2010 à 15h56
(mis à jour le 26 mars 2011 à 21h03)

P reviously, on Miss Gloss

C 'est un dimanche d'hiver , le ciel comme les murs ont perdu leurs couleurs. D'humides flocons mouchettent vos fenêtres. En sweatpant Abercrombie, un mug de thé entre les mains, vous en seriez presque à regretter Chérie qui vous a plaqué parce que vous avez twitté une de ses petites phrases. Vous haussez les épaules... Combien de couples sont morts, victimes des réseaux sociaux: retrouvailles de copains d'avant, statuts mal interprétés, tweets laconiques dans des circonstances troubles...? Et depuis l'épisode Twitta , vous avez bien du mal à vous dire que faire et défaire sont en équilibre sur une même balance.

Dans votre torpeur dominicale, alors que le monde valse autour de la frénésie de Noël, vous fouillez vos vieux mails, interrogeant des boîtes oubliées. Vous vous envisagiez en cervelle de piaf, mais voici que les mots de passe, les logins vous reviennent. La première adresse vous renvoie à cette époque où tous vos coups se provoquaient en quelques clics: sites de rencontres vite consommées - une partie de vous-même que vous pensiez avoir oubliée dans un coin de votre jeunesse. La madeleine est rance, vous vous déconnectez.

Autre adresse, autre époque. Une histoire compliquée avec une petite londonienne, votre anglais maladroit creusant un fossé que l'un comme l'autre vous tâchiez de combler lors de vos retrouvailles mensuelles. Vous ouvrez son dernier mail, visiblement (mal) traduit par un traducteur automatique: "Nous ne pouvons continuant comme ça. Si longtemps."

Et puis vous revient cette niche secrète point com , que vous aviez créée pour recevoir, en toute discrétion durant vos heures de bureau, les mails de Chérie, alors que son activité l'envoyait à l'époque par monts et par vaux. Vous épluchez les libellés: "Hard", "Pratiques", "Love". Chaque message dans un dossier. Daté. Dûment consigné.

Au total, 1773 mails. Des petites choses de la vie quotidienne, des partages de liens musicaux (ah, cette reprise de Creep ), des photos de couchers de soleil sur la mer de Chine, le Pacifique, intitulées "Ce que je vois là, sans toi :(". Vous les ouvrez, les uns après les autres, sachant, à la lecture des objets, ce que vous allez y trouver. Des baisers, des baisers, des baisers. Des secrets, des regrets. Des frustrations aussi. Au final, une envie de tout balancer, de ne plus revenir dans vos ruines pourtant si confortables. Vider les tiroirs de cette vaste commode à jamais. Cliquer «Tous». «Supprimer». «Oui».

Réfléchissez.

Vous qui vous trimballez, déménagement après déménagement, depuis des années, la lettre de votre première dulcinée (douze ans), la carte postale d'anniversaire (huit ans) envoyée par votre cousin Fredo, les petits mots de votre voisine de math de seconde, pourquoi ce soudain besoin de nettoyage? Seriez-vous enfin devenu ce Grand Eboueur de vous-même que vous avez toujours rêvé d'être?

Il vous apparaît, soudain, (comme quoi vous avez raison de réfléchir), que le vide envisagé pour vos mails fait affreusement écho à celui de votre vie. Chérie partie, votre Twitta désérotisée, vous avez cru, sans vraiment le formuler, que les réseaux sociaux, le Net tout entier pourvoieraient à vos besoins affectifs et amoureux. En nettoyant vos mails, c'est votre vie entière que vous voudriez karchériser. Dépression pré-Noël? Langueur post-amour?

Dans «rancœur», il y a «cœur».

Maintenant que vous avez réfléchi, pourquoi ne pas poser tout ce bagage, et laisser revenir le printemps, la paix?

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