Miss Gloss S02E04 : Virtuellement optimiste, vous tweetez vos espoirs

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par Miss Gloss (recueilli par Stéphanie Estournet)
publié le 7 juin 2011 à 12h51
(mis à jour le 16 juin 2011 à 16h08)

L'un a l'arcade sourcilière déformée par des anneaux de fer , une plante encrée aux fleurs menaçantes grimpant dans le cou ; un autre, l'allure chétive et la peau transparente, porte des dreads rose Barbie, des lunettes Electric ; le type au crâne rasé travaille pieds et torse nus, « quelle que soit la saison » , a-t-il mentionné lors de son entretien d'embauche. Aucun n'a plus de 25 ans, ils sont rarement à VFBdC avant quatorze heures, fument des pets dans la cour sous des faisceaux de regards assassins, font tourner de la MD à l'heure de l'apéro, et d'une manière générale, ne voient pas où est le problème. Ils travaillent depuis un mois sous votre responsabilité, ce qui vous a déjà valu trois convocations à la chefferie. Lors de la dernière, vous avez clairement énoncé le deal: si les propositions que vous devez faire à Eau Minérale sous quinze jours n'étaient pas honorées ou repoussées par le client, l'équipe serait congédiée, et vous vous en remettriez à la DRH pour la constitution d'un nouveau team. Sglurp.

Votre direction vous fiche depuis une paix légèrement angoissante. Les jours qui passent en toile de fond, vous regardez vos gars du coin de l'œil, tandis qu'ils fument dans la cour, font des batailles d'eau avec des guns en plastique, discutent du « motion scan » dans L.A. noire . Le seul moment où ils ont l'air à peu près civilisés, c'est quand ils tapotent leur iPhone, chacun de leur côté, en silence. Vous regrettez de ne pas croire en Dieu, ce qui vous aurait permis, à J-13, de mâchonner l'illusion que quelque chose viendra de toute façon vous sauver.

Il n'est pas loin de minuit, Herbert s'est planté devant votre poste, deux doigts en V, comme à la grande époque. « Peace, mec, putain, si on m'avait dit que je travaillerais avec un type comme toi. » Il est défoncé, il parle de sa reconnaissance pour vous, pour les potes, vous dit combien il aime sa mère. « T'aime aussi ton appart, pas vrai, Herbert ? Alors pourquoi tu rentres pas chez toi ? » Tom le percé pionce sur un coin de moquette en chien de fusil. Un casque crachant un beat hardcore sur les oreilles, Nico, en simple short, est penché sur sa palette graphique. Il lève la tête, pupilles dilatées, hurle : « Ca va le faire, mec. » Et replonge.

Vous n'avez pour ainsi dire pas mangé depuis quarante-huit heures. Vous vous êtes surpris à plusieurs reprises, en train de tapoter de l'index l'écran de votre iMac, avant de comprendre et de vous rabattre sur la souris. Vous tweetez vos espoirs, vous vous envisagez virtuellement optimiste. Des trois propositions in progress pour Eau Minérale, aucune n'a pourtant le début d'un aboutissement. Nanar vous harcèle, par téléphone, à la machine à café, par mail – avec copies à qui il faut. Il veut voir les visuels et le texte ensemble, « On est à J-8, c'est plus qu'urgent. » Personne n'a dit le contraire.

Vous faites un rêve. Habillé par Jean Paul Gaultier , vous êtes un chef militaire avec casquette, cravache et clés. Galons, pantalon moule-burnes, bottes. Condition de votre survie, vous enfermez des enfants dans une cellule. L'un doit donner son cœur, un autre son cerveau, un autre encore son âme – le meilleur d'eux-mêmes.

C'est Nico qui arrive en dernier. Il enlève son tee-shirt, ses Van's; reste bloqué devant son bureau vide. « On migre » , assénez-vous en montrant la porte. Vingt mètres carrés en sous-sol, deux petites fenêtres en hauteur, que l'on actionne à l'aide d'une manivelle. Vous avez prévu des cendriers, vos deux sacs de couchage (du temps de Chérie, votre ex). Dans le petit frigo, des bouteilles d'eau, de jus d'orange, et aussi des bières par dizaines qui disent un reste de votre optimisme. Pourtant, depuis une semaine, vous avez perdu une cinquantaine de followers. Vous coupez twitter, FB. Enoncez : « La porte en face, c'est les chiottes, l'autre, c'est la sortie, pour quand on aura bouclé. D'ici là, on bouge pas de là. » Herbert vous regarde avec un air de débile profond. Tom cherche les caméras en roulant un joint : « Eh mec, j'espère que t'as prévu de la meuf et une piscine… » Nico allume sa machine, tapote un de ses écrans, un beat hardcore. Hurle : « Ca va le faire, mec. »

J-3. Le premier projet est envoyé à Nanar, «copies à». Quatre propositions avec lettrages différents. Les cendriers débordent, une poubelle a pris feu, noircissant un mur, d'épaisses strates d'odeurs refusent de se mélanger comme si elles se faisaient horreur les unes aux autres. Selon où vous vous trouvez : pizza, fond de bière, cigarette froide, pétard froid, sueur, pet… Dans la nuit de J-3 à J-2, vous envoyez les deux projets manquants. Nico : « Ca l'a fait, mec. »

Le lendemain, à la machine à café, des regards torves sur votre accoutrement de raveur post-apocalypse. Nanar, se bouchant le nez pour faire marrer la galerie - qui se marre : « Faut rentrer chez vous, msieur. Ici c'est pour les gens qui travaillent. » Royal, vous riez jaune et lui offrez son expresso. Chez vous, du fond de votre lit, tel Ulysse caressant enfin du bout de l'index le dos de Pénélope, vous vous créez sur votre iPad un nouveau profil FB: vous êtes The Smelly Avenger - le vengeur puant. Sur le mur de The Green Scar: «Eh, Green Scar, ça rime richement avec connard ^^» . Le devoir accompli, vous vous endormez comme un bébé.

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