Miss Gloss S02E09 : Et soudain, Steve Jobs est mort

Toutes les semaines ou presque, retrouvez sur Ecrans.fr les maraboudficelles de Miss Gloss.
par Miss Gloss (recueilli par Stéphanie Estournet)
publié le 11 octobre 2011 à 10h26

C'est devenu une habitude. A peine rentré, un tee-shirt à la place de la chemise, vous vous postez devant votre 27 pouces, l'iPhone en recharge, le laptop sur un coin de bureau, fidèle animal. Votre mail pro, votre mail perso, Twitter, Skype, une ou deux fenêtres de recherche. Vous bidouillez, revoyez l'avancée des travaux en cours. Herbert, l'un de vos graphistes, a magnifiquement tordu les lignes de Fruits Limo, le produit phare de Eau Minérale. Epuré, féminin. Un peu osé, certes. La mise en couleur devra suivre.

Vous savez qu'Elle ne sera pas là avant une heure ou deux. Cette attente est délicieuse.

Elle n'est pas là, certes, mais Elle est partout puisque vous la convoquez en pensée. Vous vous envisagez dans une liberté qui vous laisserait le choix de l'oublier un instant, puis de revenir à Elle. Vous vous racontez l'histoire de celui qui peut à tout

moment décider de s'absorber à sa tâche, mais qui, comme on s'accorde une douceur, laisse à son esprit le loisir d'errer. Vous frissonnez soudain. Elle pourrait ne pas apparaître, ce soir, manquante. Disparue, peut-être à jamais. Vous clickez frénétiquement, le mur de votre Facebook, vos messages -- ses messages. Vous les connaissez par cœur, mais les lire à nouveau, c'est caresser votre âme d'une main apaisante.

Elle n'est pas là, et soudain, sur votre fil Twitter, dans vos alertes mails, celles de votre iPhone, Steve Jobs est mort. Votre iMac vous fait face de toute sa puissance, et quand l'écran déploie son économiseur psychédélique, c'est un grand vide qui vous regarde. Avant que vous ayez pu comprendre ce qui arrivait, vos joues sont mouillées de larmes. Les yeux fixés sur la pomme de votre machine, vous pleurez cet inconnu dont la disparition secoue la Toile. Vous lisez des témoignages par dizaines, y cherchant un réconfort, une solidarité dans l'incompréhension que vous avez de vous-même. Vous vous demandez: «Qui étais-tu Steve Jobs, pour me faire pleurer aujourd'hui?» Mais la question est: «Qu'est-ce qui ne va pas chez vous pour pleurer le départ d'un industriel marketeur, même génial?»

Du bout des doigts, vous caressez votre MacBook pro. Un bloc d'aluminium, le souci du détail, le petit click magnétique de la connexion à l'alim, le clignotement discret des voyants. La fonctionnalité. Mais surtout, la beauté. Vous repensez à votre PC assemblé avec vos petits doigts au siècle dernier. A votre modem 33K. Au réseau que vous montiez avec vos potes pour jouer à Wolf. La préhistoire. Comme la planète entière, vous avez envie de hurler : Thank you, Steve -- tandis que votre i-reflet continue de s'interroger : Comment en suis-je arrivé là ?

Le fil vibre de désolation. Tel un môme vidé de son trop-plein d'émotions, vous êtes soudain épuisé. Vous voudriez retrouver votre normalité, être déjà couché, avoir tchatté avec Elle, ses pleins et ses déliés -- être rassasié de ses mots. Vous vous préféreriez désespéré, inconsolable de ne l'avoir pas vue. Oublié. Vous voici victime de l'Histoire, du progrès, du marketing. Vous voici réduit à rien quand un mort, un seul, fait pleurer le monde.

Retrouvez Miss Gloss sur son blog , et le travail de Yann Valeani , le dessinateur.

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