Ni Bill Gates, ni Jesus, vous entrez dans le bar, serrez la main, jovial, à Fred. Affalé sur le zinc, votre boss transpire la mauvaise nuit, le trop-plein de caféine, l'angoisse. Il dit : « Sam&Sons; a perdu ses trois plus gros budgets avec les conneries de @c_con_la_com. Il. D-Esign à New York a fait -30% sur le dernier trimestre. Si ça nous arrive, on est mort. » Vous regardez le ballet des serveuses dans leur costume straight bleu marine. Il est 9h55, vous vous en tenez au plan A : vous ignorez tout ce qui vous ennuie. Un café, ok, pendant que Fred finit son Coca-Light. « T'as coupé ta sonnerie ? » C'est une sorte de plaisanterie, mais Fred hausse les épaules. Hey, c'est pas vous qui interrompez la plupart des réunions avec les premières mesures du générique de The It Crowd .
Devant les portes tourniquets de la maison mère de Boucles et Déliés, Fred, en arrêt
:
« C’est un gros budget qui se joue. Si on se loupe sur ce coup-là, on est mort. »
Sonnerie-synthé, il renvoie l’appel :
« Faudra que quelqu’un trinque, et ça ne sera pas moi, tu comprends ça ? »
Il n'a plus l'air déprimé mais féroce, prêt à vous faire plonger, à vous maintenir la tête sous l'eau jusqu'à ce que l'horizon s'éclaircisse -- pour lui. Vous
toussez, la gorge sèche, votre pouce ripe sur votre iPhone, suant. Ce que vous faites avec Nico, c’est ce que vous vous apprêtez à faire avec Bazooka : baratiner, jusqu'à l’étape suivante, gagner du temps -- en attendant la bonne idée.
Vous êtes malin, vous avez gonflé les chiffres, préparé les diagrammes (bâtons, circulaires, à bandes). Face à la direction de Boucles et Déliés, vous speechez. Un premier acte tout en chiffres et courbes ascendantes, sérieux (Bazooka hoche la tête, Nicoco hoche la tête, Fred hoche la tête). Deuxième acte: l'évidence éthique et commerciale du contrat entre VFBdC et B&D.; Vous dites «partners» , vous souriez (Bazooka tapote son iPad, Nicoco tapote son iPhone, Fred vous fait signe d'enchaîner). Troisième acte: c'est la grande odyssée don-drapperienne, vous projetez vos visuels, racontez une histoire sucrée où il est question des cheveux de votre mère, de la cascade capillaire de Wonder Woman, de leur délicat noir bleuté, leur force maîtrisée, la rondeur de leurs mouvements -- «autant de qualité que l'on trouve chez Boucles et Déliés» .
Concept. Silence.
Bazooka a été le premier a applaudir -- clap, clap-- suivi par les Bazooka's boys, Fred, les cadres du Developer World Department. Bazooka a dit OK pour la gamme complète des produits bio de B&D;, ok pour que vous bossiez sur un nouveau world logo. Bazooka a soufflé quand tous n'écoutaient pas: «Je crois en toi, mon petit gars. Ne me déçois pas.»
Dans le taxi, Fred grogne pour la troisième fois en pianotant sur son téléphone: « Bon sang, on s'en est sorti.» Enthousiaste, vous attrapez un épisode des aventures de Diana Prince aka Lynda Carter sur votre iPhone. L'hyperhéroïne apparaît dans toute la générosité de son physique, la naïveté d'une mise en scène désuète, son entêtement si féminin. Vous songez que, peut-être, ces heures passées le samedi après-midi à regarder une fille en bustier et short à étoiles vous ont peut-être permis de sauver un budget -- voire, votre place. Que les bracelets à l'épreuve des balles et les lassos magiques avaient quand même un sacré impact sur l'imaginaire collectif pour resurgir aujourd'hui et vous secourir dans votre vie de comeux. Que c'est tout ce qui vous manque, à ce jour, une bombe enthousiaste et sexy capable de venir vous sauver des griffes de comités de direction. Que c'est ce qui manque à l'univers entier: une déesse révélant la vérité, une chimie ancestrale brouillant les ondes de nos machines, les logins et les passwords, les protocoles et les numéros de port, pour révéler qui nous sommes au-delà de nos claviers et de nos avatars. De retour à VFBdC, vous commandez en express un poster de Wonder Woman que vous accrocherez là, au-dessus de vous, à la place du Père.
Retrouvez Miss Gloss sur son blog , et le travail de Yann Valeani, le dessinateur .