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Miss Gloss S03E12 : Fullmetal Alchemist, en quête de votre innocence

Cette semaine, c'est la rentrée sur Ecrans.fr des maraboudficelles de Miss Gloss.
par Miss Gloss (recueilli par Stéphanie Estournet)
publié le 14 septembre 2012 à 16h25

Les jours raccourcissent, vous n'avez rien vu de l'été. Certains sont partis, revenus, repartis. Ils sont tous là désormais, des photos qu'on se montre sur iPhone, des histoires d'apéros et de plages. Fred siffle son Coca-Light, ses bras sont bronzés sous le tee-shirts Abercrombie, son visage détendu même quand il prend un air sérieux pour dire: "= «Faut assurer le coup sur La Banque Libre, les gars.» "= Le buzz local dit qu'il vise le prix 2012 de l'Agence la plus créative. Le buzz local dit qu'il va se ranger derrière un de ses copains nommé au gouvernement Hollande. Le buzz local ne vous dit pas pourquoi vous êtes là à brasser depuis des semaines sur la base de soixante heures hebdomadaires sans horizon professionnel ni personnel.

Nanard et Eric ont rendu leurs copies, pour Boucles et Déliés. Pour La Banque Libre. Vous avez rendu les vôtres. C'est le soir, déjà et vous traînez dans l'espoir de vous embarquer dans une charrette vers un apéro, une soirée, une autre vie. Mais tous ont un devoir de rentrée, un enfant, une bonne résolution à honorer. Un message à Emilie, votre copine de lycée retrouvée, un à Eric, à Mannie -- autant de lettres mortes perdues dans des folders. Vous rentrez chez vous, envisageant le contenu de vos disques durs, d'éventuelles options qui pourraient vous occuper pour la soirée. Le jour s'en est allé, et le vide sous vos pieds vous fait tourner la tête.

Une bière à l'épicerie, un pack plutôt. C'est le jeune, le fils, il s'appelle Karim.

Vous aviez parlé du ramadan, il avait alors arrêté de fumer, ça vous avait impressionné. Assis sur sa caisse, il pose sa tablette. Allume une cigarette, hausse les épaules d'un air de dire

«ben ouais, mon pote, c'est la vie». Il encaisse vos bières, retourne à sa tablette. Il dit:

«Ce truc, c'est mieux que tous les bouquins du monde. Tous les mômes, ils devraient avoir ça dans les écoles.»

Il regarde des photos, des trucs étranges avec des petits bonshommes, des jouets. Il dit:

« Y en a qui pensent qu'il faut interdire les écrans . Il faut pas. Il faut apprendre. Apprendre avec et à faire avec.»

Il écrase sa clope, montre votre pack en disant:

«C'est la teuf, ce soir?»

Sur la tablette,

en tenue de chantier tirent des sacs de poudre -- de poudre, oui, des quépas. Devant votre air hagard, Karim sourit:

«Eh mon pote, c'est pas parce qu'on fait ramadan qu'on s'intéresse pas à ce qu'il se passe dans le monde.»

Votre frigo est vide, une bière en pousse une autre, vous auriez été malin de prendre un paquet de chips. Le numéro de la pizza ne répond pas. Le numéro des sushis ne répond pas. Vous souriez. Vous êtes seul au monde avec vos redifs de Mad Men , vos tweets #vfbdc, vos 3412 friends. Ah non, un mail de votre mère pour un déjeuner dominical. Ah non, un sms d'Octavia -- d'un autre monde.

Une bière. Octavia parle d'un «brin de bruyère» , de «l'odeur du temps» . Votre télé allumée, votre tablette sur les genoux, vous bloquez sur le travail de Vincent Bousserez, l'artiste aux petits bonshommes: un curé fuyant et un préservatif, de minuscules femmes en bikini bronzant sur un cadavre ensanglanté. Vous vous souvenez de vos cours de cathé, vous reluquiez votre petite voisine, une rousse -- déjà -- à tresses. Vous vous souvenez de vos heures de beatnik qui vous avaient conduit à faire des messes noires arrosées de mauvaises bières et d'extasy ( «Aciiiid» ) dans les catacombes de Paris. Superbia , avaritia, invidia, ira, luxuria, gula, acedia... Des sept péchés capitaux, il n'y a que l'avarice qui ne vous concerne pas, pensez-vous. Comme Ed Elric, vous pourriez être Fullmetal Alchemist, en quête de votre innocence perdue, d'un avant qui vous réconcilierait avec le monde, avec vous-même.

«L'automne est morte souviens-t-en» . Les mots d'Octavia rebondissent de votre iPhone à votre crane. Touche, touche, son numéro apparaît. Sa photo aussi, prise chez elle devant son grand œuvre à destination d'un collectionneur. Steampunk. Vaisseaux, mécaniques, Jules Verne, cuivre, bois. montres. Effacer? Appeler?

Il est près de trois heures quand vous vous écroulez. Avec l'impression de porter tous les pêchés du monde. Dans un coin de votre iPhone -- à moins que ce soit de votre âme -- les derniers mots d'Octavia: «Et souviens-toi que je t'attends.»

Retrouvez Miss Gloss sur son blog , et le travail de Yann Valeani , le dessinateur.

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