Les Pocket Films en balade

par Marie Lechner
publié le 21 juin 2008 à 9h20
(mis à jour le 23 juin 2008 à 8h18)

Qu'est ce qui fait à la fois « minuteur, crayon, montre, lecteur mp3, calculette, convertisseur, photo, chronomètre, clé USB, lampe, torche, télécommande, réveil, console de jeux, carnet de notes, caméra, agenda, poste radio, calendrier, ordinateur, écran, télé... ». Le téléphone portable, couteau suisse qu'on a sur soi en permanence, était célébré lors de la quatrième édition du Pocket films au Centre Pompidou le week end dernier. Si l'idée initiale du festival - gonfler sur grand écran des films réalisés avec la caméra d'un téléphone - pouvait laisser sceptique, cette année, il présentait pour la première fois des courts réalisés spécifiquement pour ce support, à visionner sur son mobile. Sélection médiocre dont on perçoit mal l'originalité si ce n'est que les films sont diffusés en plus petit, presque illisibles pour certains à moins de posséder un modèle dernier cri.

_ Les spécificités de cet « objet à usages multiples », tel que le représente Delphine Marceau (voir photo) sont rarement exploitées. Or comme le souligne le réalisateur Jean-Claude Taki, la principale caractéristique du téléphone est justement «de ne pas être dédié à l'image à priori » . Alain Fleischer, qui a tourné plusieurs films en tenant l'appareil contre l'oreille, parle d'un « objet masqué dont on ne sait au juste ce qu'il est en train de faire » . Quelques films exploitent d'ailleurs cette idée du téléphone volé ou posé sur une table qui continue de filmer à l'insu de son propriétaire.

«Echec et Mat» de Gabriel Ariyanayagam et Burçay Karakus

_ Plus inspirant, le travail des artistes avec lesquels le Pocket films collabore depuis la première édition. Ainsi le collectif Lili range le chat a commencé par utiliser le téléphone à rebours. « Nous ne voulions surtout pas recréer le cinéma, mais trouver une écriture spécifique, d'autres formes » , explique Caroline Bernard. Le téléphone qu'on porte habituellement près de son corps est projeté dans les airs, accroché à un ballon, reculant les limites de la mobilité. Une métaphore des ondes qui transmettent le message. L'objet individuel par excellence est mis en commun dans « écrans partagés »: pour obtenir l'intégralité du film, il fallait trouver l'écran complémentaire et les juxtaposer. Dans Time Phones , le tournage s'apparente à une performance communautaire, avec sept participants filmant simultanément avec des caméras synchronisées.

Le téléphone permet aussi de transmettre facilement les messages vidéos. En 2007, Lili range le chat instaure une conversation cinématographique entre l'Europe et l'Ouzbékistan, invitant des artistes à poster des vidéos sur un blog collaboratif, illustrant des phrases idiomatiques comme "avoir des oursins dans la poche", "être sur le fil du rasoir" ou "son papillon s'est envolé".

_ Avec le blog, qui préfigure une sorte de montage chronologique, vient l'idée « de tisser du film » , explique Caroline Bernard, de «créer un film qui convergerait sur le net pour devenir un film hypothétiquement continu » , un projet en cours qu'elle développe avec Gwenola Wagon artiste qui a piloté le projet Mobile Tube , des balades vidéos proposées sur la piazza Beaubourg, qui est également le sujet des petits films réalisés par des étudiants de Paris 8.

«Watched», de Benoît Maincent

_ Muni d'un téléphone prêté, le flâneur pouvait découvrir d'autres visions de la place, une chorégraphie pilotée par téléphone, une filature (où une armada de discrètes caméras se substituent à la vidéo surveillance), un téléphone dérobé qui continue de filmer à l'insu du pickpocket etc.

Le collectif Microtruc , qui regroupe les artistes Caroline Delieutraz, Aude François, Julien Levesque et Albertine Meunier s'emploie quant à lui, à « accrocher des vidéos à l'espace urbain » avec DCODD, un projet de playlists vidéos localisées. Les artistes ont tagué des codes 2D sur les trottoirs des principales places parisiennes. Ces codes graphiques qui permettent d'annoter la ville viennent « augmenter la réalité physique ». Pour accéder aux vidéos, il suffit de photographier le code avec son téléphone portable muni de l'application adéquate.

La playlist ainsi dispersée en douze places de la ville s'intitule «Vous n'êtes pas ici» . Les artistes se sont appropriés des vidéos tournés par des amateurs sur les différentes places, les ont transformées avant de les relocaliser.

«DCODD», du collectif Microtruc

Ainsi, place de Jussieu, on pourra visionner un Mobile karaoké, et chantonner les paroles de Thriller sur des images d'un acrobate qui s'amuse avec le mobilier urbain.

« Le projet s'inscrit ainsi dans le décalage plutôt que dans le mimétisme avec le lieu , explique le collectif. Les vidéos que DCODD associe au lieu par l'intermédiaire des codes 2D ne sont ni touristique, ni documentaire, elles tendent à créer un lien dépaysant, voir déconcertant avec leur contexte de consultation. » Tous les deux mois, une nouvelle playlist devrait être associée à ces tags.

E1000, © Manuel Braun / Utopie Films

A signaler enfin, une tentative, encore très balbutiante, de film interactif, piloté par téléphone. Alors qu'il est recommandé d'éteindre son portable lorsqu'on pénètre dans une salle de cinéma, E1000 (prononcez Emile) vous invite au contraire à le garder allumé et même à vous en servir durant la séance. Emile est un grand dadet aux dents pourries (une malédiction familiale), qui finit par accepter de se faire poser un appareil par amour. Problème, depuis qu'il porte l'immonde prothèse, il intercepte toutes les communications. Le spectateur est invité à composer les numéros qui s'affichent pour influer sur le cours de l'histoire et à envoyer des SMS qui viennent s'incruster sur le grand écran, une interaction limitée très gadget pour l'instant.

Le prototype présenté n'a d'ailleurs pas résisté à la débauche d'appels provoquant un crash de la vidéo.

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