Montre moi ton avatar, je te dirai qui tu es

par Marie Piquemal
publié le 16 juin 2011 à 18h45
(mis à jour le 16 juin 2011 à 18h48)

Certains flanquent leur bouille en gros plan, d'autres se préfèrent de plain-pied. Il y a ceux qui s'amusent avec des cadrages vaguement artistiques ou qui passent leur image à la moulinette Photoshop (pixellisation, effet Warhol...), se démarquant des inconditionnels du noir et blanc.

Beaucoup changent leur photo de profil Facebook tous les quatre matins, au gré de leur humeur. Quand les autres conservent toujours la même, été comme hiver. Souvent seuls sur l'image mais parfois accompagnés par, au choix: des amis lors d'une soirée réussie, une mariée ou des gamins, de préférence les siens.

Nous concernant, tout est parti d'une malheureuse photo de (joli) rouge-gorge pour illustrer un profil Twitter. Réaction immédiate de la collègue d'en face: «Ah, ça m'étonne pas, c'est tout toi» . Depuis, une question nous turlupine: les avatars que l'on choisit pour se représenter sur les réseaux sociaux trahissent-ils des traits de notre personnalité ? Comment les interpréter?

Avant de s'aventurer sur ce terrain glissant, mais passionnant, Antonio Casilli, chercheur à l'EHESS1, prévient : «attention, Facebook n'est pas Twitter qui n'est pas MySpace, ni le forum Doctissimo» . Les codes de représentation ne sont pas les mêmes d'un média social à l'autre. A l'instar du monde réel, le net est rempli de codes, de règles de conduite, de coutumes même, qu'il est de bon ton de respecter. Ainsi, sur Facebook, beaucoup ont pris le pli de se présenter sous leur vraie identité: nom, prénom, date de naissance et photo de face ou de profil.

Sur Twitter, la part de mise en scène et de jeu est plus développée, on trouve donc davantage de profils fantaisistes (gueules d'animaux, caricatures, affiches, etc.) «Vous remarquerez que les gens paraissent toujours heureux sur leurs photos d'avatar. L'air mélancolique est banni» , note Fanny Georges, auteure d'une thèse sur la représentation de soi et l'identité numérique.

Comment s'opère le choix?

Pourquoi cette photo plutôt qu'une autre? «Quand on pose la question, les utilisateurs répondent, au choix: celle-là, "je l'aimais bien" ou "j'en avais pas d'autres"» , résume Thibaut Thomas2, spécialiste en stratégie des réseaux sociaux, qui a consacré son mémoire de fin d'études sur le sujet.

Pour lui, ces deux réponses veulent dire la même chose: «la personne a estimé qu'à un moment donné et dans un contexte social donné, cette photo était la seule pouvant la représenter. C'est exactement la même démarche que de s'habiller avant de sortir dans la rue. On adopte une manière de se présenter en fonction des personnes l'on s'attend à rencontrer. Vous ne vous habillez pas forcément de la même façon pour aller à un rendez-vous professionnel que pour sortir acheter le pain le dimanche. Le mécanisme est identique avec le choix de la photo de profil. On anticipe qui peut nous voir et la manière dont on veut se présenter à leurs yeux, exactement comme dans la vraie vie.»

Le même profil, à des saisons différentes... DR

Dans ses travaux, Antonio Casilli décompose ce travail psychique (pas forcément conscient) en deux étapes : choisir sa photo oblige d'abord à engager une réflexion sur la manière de se présenter, les traits que l'on désire mettre en valeur. Ensuite, «la photo doit être validée par les autres. Cette étape de la reconnaissance est essentielle: est-ce que je suis capable de gérer cette nouvelle identité ?» C'est ainsi que le rouge-gorge, taxé unanimement de «gnangnan», est passé à la trappe... «Sur Facebook, réseau social basé sur l'identité civile, le choix de la photo de profil est plus important pour les autres que pour soi-même. Il apporte la preuve que vous êtes un être humain.»

Une ressemblance avec la photo sur la cheminée?

Et si nos photos de profil étaient les dignes héritières de celles qui trônaient jusqu'ici au dessus de la cheminée ou en équilibre sur la télé ? Thibaut Thomas aime bien l'idée. Pour lui, ça colle impec. «Le salon est une invention bourgeoise du 19e siècle. C'est la pièce de la maison où l'on reçoit les invités et où on leur donne à voir.» Une sorte de sas entre sphère publique et privée. On trouve pêle-mêle des photos de mariés, de famille et des enfants... Les mêmes qui sont aujourd'hui exposées sur Facebook.

Pour le psychologue Yann Leroux3, les photos de profil, mises côte-à-côte, racontent une histoire «c'est ce qui explique que les gens aiment tant les réseaux sociaux. On légende notre vie. Aujourd'hui, l'identité est plus plastique et plus fluide qu'avant.»

Autre élément qui en dit long, le décor. Tout ce que montre ou suggère l'image. Genre, les photos de vacances (cas typique: la personne qui saute en l'air) qui veulent dire: «j'étais là, j'étais à cet endroit» . Là encore, rien de fondamentalement nouveau, selon Thibaut Thomas. «On retrouve la même démarche qu'à l'époque des peintures rupestres dans les grottes de Lascaux où on laissait l'empreinte de sa main pour signifier notre présence.»

Et ceux qui ne veulent pas dévoiler leur visage?

Antonio Casilli se marre. «Sur Facebook, par exemple, celui qui refuse de se plier à l'injonction sociale de publier des photos, se dévoile en fait énormément. Vous déclarez ainsi n'avoir aucun plaisir à vous montrer, et donc une certaine approche de votre vie privée. Et puis, que vous le vouliez ou non, une photo apparaît : la silhouette qui s'affiche par défaut précise si vous êtes un homme ou une femme. Facebook est une redoutable machine à produire de l'identité.»

«Sur Twitter, n'importe quel type d'image est valable tant qu'on ne laisse pas l'image par défaut: l'œuf qui apparaît à la création du compte revient à dire qu'on n'est pas né sur le réseau social. Comme si on n'était pas actif et donc pas pris au sérieux» , relève Yann Leroux.

Thibaut Thomas va plus loin, voyant dans le refus de se dévoiler, la résurgence du rapport au corps, avec toute la symbolique qui va avec. L'exemple parfait, ce sont ceux qui optent pour une photo prise de dos, ou sous un angle tel qu'on ne les identifie pas: ils reconnaissent ainsi que la seule manière d'exister est de montrer leur corps, tout en voulant le préserver de peur de se faire voler leur identité.

Que penser des adeptes de photos d'animaux ou de célébrités?

«Tout le monde connaît le pouvoir des images et leurs qualités symboliques. On anticipe donc parfaitement l'effet que telle ou telle photo va produire sur les autres.» Ainsi, on n'envoie pas le même signal en affichant la tête de James Dean ou celle de Kojak. Dans le premier cas, on veut se donner l'image d'un jeune rebelle, plutôt beau gosse. Dans le deuxième cas, on pense détective, avec un faux air de grand justicier des années 70.

De la même manière, on fait très bien la différence entre un chat et un crocodile. Entre un écureuil et une pieuvre. L'un est doux et attachant, l'autre avec ses tentacules veut tout maîtriser.

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