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Libération

Mozilla : l’info en ligne de mire

par Camille Gévaudan
publié le 8 novembre 2011 à 16h13

«Ne vous contentez pas d'utiliser le Web ; commencez à le bâtir.» Allez, au boulot ! Que faites-vous encore à traînasser dans l'introduction de cet article ? Le cours de cyber-rhétorique commence dans trois minutes, il est encore temps d'y foncer. Vous pourrez ensuite filer vers la salle 211 pour ouvrir un blog sur Wordpress et apprendre à le rentabiliser en salle 209. Quelques mètres plus loin, c'est autour de la vidéo qu'on se creuse le ciboulot : comment la sous-titrer sans aucune compétence en montage ? Si vous êtes d'humeur plus aventureuse encore, écrivez vos premières lignes de code Javascript pour programmer un jeu de plateforme. Du premier au sixième étage, le bâtiment fourmille d'ateliers et de chantiers. Et si vraiment vous n'arrivez pas à vous décider, un geek en t-shirt bleu aura tôt fait de se matérialiser devant vous pour vous suggérer quelques pistes . Ils sont comme ça, les bénévoles de chez Mozilla : toujours ravis de donner un coup de main. Profondément imprégnés de cette culture du partage qui caractérise le monde du logiciel libre.

C'est pour transmettre ces valeurs que la Fondation Mozilla, connue pour développer le navigateur Firefox, a organisé le festival Freedom, Media & the Web ce week-end. Trois jours de rencontres dans le très design Ravensbourne College de Londres, avec ses demi-étages, ses balcons, ses passerelles et sa façade en gruyère trouée de hublots géants. Le mot d'ordre est simple : «Rassemblons-nous pour construire de vrais projets qui changeront les médias, le Web et le monde» ( «sans vouloir vous mettre la pression» , précise le site officiel ).

Mais pourquoi Mozilla s'intéresse-t-il aux médias, après une première édition du festival consacrée, l'an dernier, à l'éducation ? «Parce que le journalisme évolue deux fois plus lentement que le reste du Web , résume Katharina Borchert, patronne du Spiegel online , le site de l'hebdo allemand. Dans les rédactions, on entasse les développeurs dans la cave et on leur parle une fois par semaine quand on a besoin d'eux. Il faut réussir à marier ceux qui font les histoires et ceux qui font les outils. Se comprendre l'un l'autre pour construire ensemble.» Le «MozFest» de cette année s'inscrit d'ailleurs dans la continuité d' un partenariat lancé il y a quelques mois entre la fondation Mozilla et la fondation Knight , engagée pour l'innovation journalistique. Tous les internautes intéressés sont invités à y participer via des petits concours, à l'issue desquels «les participants les plus prometteurs» gagneront un CDD d'un an dans l'une des prestigieuses rédactions partenaires (Al-Jezira, la BBC, le Guardian , le Boston Globe et le Zeit Online).

Certains journalistes impliqués dans ce partenariat sont venus au Mozilla Festival pour transmettre leur savoir -- ainsi le Sud-Africain Bilal Randeree, d'Al-Jezira, qui a animé une table ronde (sans table, mais avec tablettes) sur son expérience du live-blogging durant les révolutions arabes. N'importe qui pouvait proposer d'animer un learning lab ou un design challenge , pour faire profiter les autres de ses compétences dans un domaine particulier : les robots en 3D, le journalisme par SMS, la navigation tactile... D'autres festivaliers sont venus pour apprendre. D'autres encore ont un projet génial et besoin de collaborateurs pour lui trouver des applications. C'est le cas de Chris et Nico, qui fanfaronnent au sixième étage avec leur Octocopter . Mi-araignée mi-ovni, leur machine à huit hélices peut faire planer un appareil photo à 20 mètres d'altitude pour filmer d'impressionnants plans aériens. «Mais l'Octocopter enregistre aussi des métadonnées au cours de son vol : ses coordonnées GPS, son altitude, la température et la pression de l'air, sa consommation d'énergie… Toutes ces données pourraient être traitées pour enrichir la vidéo.»

L'octocopter, star du MozFest - Photo Mozilla, CC BY

Les bonnes idées sont légion ; ne reste qu'à dénicher l'outil adéquat pour les mettre en œuvre. Et justement, ça tombe bien ! L'équipe de Popcorn.js est présente. Son logiciel permet précisément d'enrichir une vidéo en la synchronisant, au centième de seconde près, avec toutes sortes de données extraites d'une base, ou même du Web, en temps réel. «La première génération d'internautes était très portée sur le bidouillage , se souvient Mitchell Baker, présidente de la Fondation Mozilla. Aujourd'hui, les choses changent : Internet est de plus en plus lié à un comportement de consommation. On voit de très belles choses, faciles à utiliser ; l'iPhone et l'iPad sont le paradigme de cette "consommation élégante". Mais il est enrichissant et gratifiant de pouvoir toucher à ces outils, les changer, pour construire le Web nous-mêmes.»

Décidée à ne pas laisser l’avenir du Net entre les mains d’entreprises privées et opaques (dans le collimateur, Facebook et Apple), la communauté Mozilla prône l’appropriation du réseau et des technologies par les internautes eux-mêmes. Il faut soulever le capot, étudier le moteur, mettre les mains dans le cambouis. Bref, il faut «hacker» tout ce qui nous tombe sous la main.

Renard ou panda roux ? Les deux, histoire de mettre tout le monde d'accord ! Et à droite, Mark Surman, DG de Mozilla. Photo Mozilla, CC BY

Les 600 personnes qui ont occupé le Ravensbourne College se sont prêtées au jeu avec un enthousiasme déroutant. Britanniques, Américains, mais aussi Brésiliens, Français, Libanais, Jordaniens, Allemands… Tous ont inscrit leur pseudo Twitter sur leur badge, en dessous de leur nom. Un œil sur l'écran de leur laptop et l'autre sur les cofestivaliers, ils doublent les rencontres in real life d'une conversation ininterrompue en ligne, traçable avec le hashtag (mot-clé) #mozfest . Des human APIs («applications humaines» , reconnaissables à leur blouse blanche, déambulent dans les recoins biscornus du College pour aider qui en ressent le besoin sur une compétence technique particulière.

Le plus important sera d'appliquer ensuite ce qu'on a découvert à Londres. Partager ses trouvailles, faire passer le message. Et rester en contact avec les gens rencontrés, même celui déguisé en panda roux, le logo de Firefox. Dans le «big space» du quatrième étage, il disputait une partie de ping-pong geek : un smartphone dans la main en guise de raquette, pour filmer en vue subjective en même temps qu'il jouait. L'arbitre mettait à jour le score sur une application codée à la va-vite, affichée en plein écran sur l'ordinateur qu'il tenait à bout de bras. Juste quelques points, le temps de se défouler avant la prochaine session « Ecrivons la bible du datajournalisme » .

Paru dans Libération du 7 novembre 2011

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