Murdoch, l’outremangeur d’Outre-Manche

par Frédérique Andréani
publié le 7 mars 2011 à 9h18

Londres

Peu d'hommes ont autant d'influence sur l'opinion publique britannique que Rupert Murdoch, 80 ans, le magnat des médias dont les titres représentent plus du tiers du marché de la presse d'information du pays. Son impressionnante écurie de journaux grand public ( The Times, The Sunday Times, The Sun et News of the World ) confère ainsi à l'Australo-Américain une position unique, dans un pays dont il n'est même pas ressortissant.

Cette influence va sans nul doute encore s'accroître. Jeudi, le ministre de la Culture britannique, Jeremy Hunt, a annoncé que le gouvernement avait décidé de donner un feu vert de principe au rachat complet du bouquet satellite BSkyB par News Corp, l'empire médiatique de Murdoch.

Cette décision - hautement polémique depuis longtemps outre-Manche - intervient après plusieurs mois de réflexion, Murdoch ayant annoncé en juin son intention d’acheter pour 7,8 milliards de livres (9 milliards d’euros) les parts lui échappant dans le bouquet satellitaire, dont il contrôle déjà 39%.

News Corp s’est de son côté engagé à séparer la chaîne d’informations Sky News du reste de BSkyB pour en faire une société distincte, dirigée par un conseil d’administration et un président indépendants. Selon ce compromis, Murdoch demeure cependant l’actionnaire principal de la chaîne, puisqu’il conserve les 39% de parts qu’il possède déjà dans Sky News.

L'annonce a immédiatement provoqué de vives réactions, en particulier de la part de l'opérateur de télécoms BT et des éditeurs du Daily Mail , du Daily Telegraph et du Guardian , qui considèrent ce rachat comme une menace face au pluralisme des médias au Royaume-Uni. L'alliance formée par les opposants au rachat a ainsi dénoncé ces concessions comme un «écran de fumée» qui «ne suffira pas à protéger le pluralisme des médias au Royaume-Uni de l'influence démesurée de News Corp.» Les anti-Murdoch ont également déclaré leur intention de recourir à tous les moyens légaux contre ce projet.

Avec plus de 10 millions d'abonnés appâtés à coups d'exclusivités sur le foot, BSkyB - le plus rentable des diffuseurs télévisés britanniques - constitue ainsi une impressionnante machine à faire de l'argent. L'achat des 61% des parts restantes par Murdoch lui confère donc une puissance financière face à laquelle ses concurrents pourront difficilement faire face. Ce rachat fera ainsi de News Corp, qui est déjà le premier groupe de presse du Royaume-Uni, le plus grand groupe de médias du pays. «C'est une mauvaise nouvelle pour la démocratie» , a dénoncé le Syndicat national des journalistes.

Des spécialistes des médias estiment que News Corp pourrait lier l'offre internet de ses journaux à l'abonnement à BSkyB et imposer à tous la stratégie Murdoch sur Internet. Lancé dans une grande bataille contre Google, le magnat a rendu payant les sites internet du Times et du Sunday Times , et milite contre l'information en ligne gratuite.

Au niveau politique, l'affaire expose les liens entre le Premier ministre, David Cameron, et Rupert Murdoch, dont les titres de presse ont soutenu le candidat conservateur aux dernières élections. Elle est aussi particulièrement embarrassante pour la coalition au pouvoir, dans la mesure où elle révèle les frictions internes entre conservateurs et libéraux-démocrates. Le libéral-démocrate Vince Cable, ministre du Commerce en charge du dossier à l'origine, en a ainsi été écarté après avoir déclaré devant des journalistes qu'il allait «déclarer la guerre» au groupe Murdoch.

L'opposition travailliste n'a pas manqué de critiquer un «accord politique conclu au détriment de l'intérêt public» et a rappelé que Cameron et Murdoch avaient dîné ensemble en décembre, en plein examen du dossier.

La décision définitive du gouvernement interviendra dans quinze jours après une consultation finale, mais il est peu probable qu’elle change d’ici là, dans la mesure où la Commission européenne a déjà approuvé le projet, par ailleurs soutenu par l’Ofcom, organisme de régulation des médias britanniques. Seule consolation pour les opposants de l’impitoyable Murdoch : ce dernier devra sans doute revoir son offre de rachat à la hausse, les actions de BSkyB n’ayant cessé d’augmenter ces derniers mois.

Paru dans Libération du 04/02/2011

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