«Identifier les vrais problèmes, pas les sujets à la mode»

Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d’état en charge de l’économie numérique, a répondu à nos questions.
par Astrid GIRARDEAU
publié le 25 juin 2009 à 18h02
(mis à jour le 18 décembre 2009 à 12h34)

Ce matin, Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'état en charge de l'économie numérique, présidait un colloque sur le thème Droits et libertés dans la société numérique . A l'issue des tables rondes, nous lui avons posé quelques questions autour de la régulation d'Internet, la neutralité des réseaux, et la Loppsi.

Lors de votre arrivée au poste de secrétaire d’état en charge de l’économie numérique, vous disiez regretter un discours public trop porté sur les dangers d'Internet. Encore lundi dernier, le président de la république a parlé d'Internet comme d'une «zone de non-droit»...

_ Il y a un tas de problème sur Internet, mais aussi un tas de choses formidables. Et l'objectif d'un colloque comme celui-ci est de pouvoir parler des deux. On doit parler du meilleur, et du pire. Avoir un discours équilibré. Réconcilier en quelque sorte l'utilisateur qui est en nous avec le parent inquiet, etc.

Aussi, on doit aider tous les acteurs qui gravitent autour de l'Internet à structurer leur pensée et leur proposition. Par exemple, il y a des sujets qui sont considérés comme problématiques sans qu'il y ait vraiment d'accord sur ce que sont véritablement les problèmes. Et il y a des sujets qui font, à un moment ou à un autre, débat sur Internet, puis passent. Si on veut aller vers quelque chose de plus serein, on a besoin de se mettre d'accord sur ce que sont les éventuels problèmes de fond, pas seulement les débats du moment, et sur le type de cadre où trouver une solution.

Mais par exemple on voit monter une volonté de modifier la LCEN et de faire peser davantage de responsabilité sur les éditeurs, hébergeurs et fournisseurs d'accès...

_ Actuellement le grand sujet sur Internet, c'est plutôt la protection des données personnelles, de la vie privée. Alors ça interfère avec un sujet de fond, lui, tranversal à tous les débats, qui est la neutralité du net . Terme qui doit être explicité car tout le monde ne met pas la même chose derrière. La neutralité du net, c'est s'assurer que le fournisseur d'accès Internet ne privilégie pas la diffusion des contenus d'un certain producteur de contenus auprès de ses utilisateurs.

Mais des opérateurs comme Vivendi ou Orange, qui s'intéressent de plus en plus aux contenus, ont tout intérêt à y pousser...

_ Ah oui, ils vont être tentés. Mais c'est de la responsabilité de la puissance publique d'encadrer ça. A moins qu'on accepte un Internet limité. Et certains opérateurs veulent le faire ouvertement. Par exemple, Verizon, aux Etats-Unis, veut un Internet dans lequel le fournisseur d'accès privilégie un certain nombre de contenus, et fait en sorte que ces derniers vous parviennent cinq fois plus vite que ceux du concurrent. Est-ce qu'on a envie de ça ? Moi, personnellement non. Ce n'est pas ma position, et ça fait partie des sujets sur lesquels, à un moment, il faut avancer.

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«La puissance publique doit encadrer la neutralité du net»

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Dans quel cadre ?

_ C'est la question d'après. Est-ce qu'on avance dans des cadres nationaux, et on essaie après de trouver une corrélation internationale ? Est-ce qu'on le fait tout de suite dans un cadre international ? Moi, j'aimerais que, là-dessus, on puisse s'appuyer sur l'Europe. Je trouve l'Union Européenne encore trop faible sur la gouvernance d'Internet. Parmi les discussions que j'ai avec mon homologue suédois -- car on entre en présidence suédoise de l'UE --, on veut que la gouvernance d'Internet devienne un sujet européen. Actuellement, quand vous êtes au conseil Télécom vous avez des discussions en gros sur la concurrence dans le monde des télécoms. Pour le reste, on est un peu dans l'ordre déclaratif, alors qu'on a des parlementaires européens très mobilisés sur ces questions. On a ce qu'il faut en matière de compétence, ça n'est pas le problème.

Pour moi, il s'agit d'une nouvelle frontière politique au sens anglo-saxon du terme. C'est-à-dire faire en sorte qu'on arrive à structurer et à apporter des propositions non seulement au niveau national mais au niveau européen. En plus, l'automne va être le bon moment car on va arriver à la fin du « Joint Project Agreement » qui liait l'ICANN au gouvernement des Etats-Unis. Et donc un moment où on va forcément parler de gouvernance de l'Internet.

Et que pensez-vous du fait, avec la Loppsi, d'ouvrir la boîte à Pandore du blocage de sites ?

_ Là, il s'agit d'autre chose. La plupart des pays s'organisent pour bloquer l'accès à des sites pédophiles. Qui est vraiment contre le blocage de l'accès à un site pédophile ?

Mais pour quel efficacité ?

_ Alors après il y a un débat sur l'efficacité de la chose. Et j'entends bien ce débat. C'est un débat de fond sur tout ce qui peut être mis en place en termes de sécurité sur Internet. Car avoir certains types de blocage incite les internautes à les contourner, et donc conduisent à développer des technologies de contournement qui peuvent, à leur tour, poser des problèmes de sécurité. Mais le principe, l'objectif de la loi, je crois que personne n'en conteste la légitimité.

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«L'Etat se cherche, et c'est normal»

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N'y a-t-il pas un risque que cela s'applique ensuite à d'autres types de contenus ? Par exemple à la musique ?

_ On est dans des sujets différents car, par exemple, sur les sites de p2p, on a à la fois du contenu légal et du contenu illégal. Ce n'est pas comparable.

On a aussi des sites type Radio.blog.club ?

_ Pour moi, les deux sujets sont vraiment différents. Quand on bloque un site de pédo-pornographie, on bloque quelque chose qui est entièrement construit sur l'illégalité, sur la dégradation de la personne humaine. Je comprends la connexion que vous faites, mais pour moi les sujets sont différents. J'ai été surprise de lire sur Internet le rapprochement qui était fait entre Hadopi, Loppsi,... Ce sont des sujets très différents. Et je trouve que ça ne participe pas à la clarification du débat.

Le lien n'est-il pas simplement l'impression d'un Etat qui veut contrôler Internet ?

_ L'Etat se cherche, et c'est normal. On le voit bien dans un colloque comme celui-là. En même temps, il y a une demande de régulation. Je suis souvent confrontée à des acteurs de l'Internet qui, à chaque fois, voudraient bien qu'on régule, mais pas les autres. Forcément l'Etat se cherche, et moi ce que je voudrais, c'est aider à identifier les vrais problèmes, pas les sujets à la mode. Et voir quels sont les espaces dans lesquels on peut les résoudre. Etant entendu que ce n'est pas forcément la loi.

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