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Libération

Nausée nostalgie

par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 6 octobre 2009 à 13h07

L'autre vendredi, on regardait, sur TF1, la finale de Secret Story avec un collègue du journal, Jean-Paul (1). Entre la pub et la reprise de l'émission, une bande-annonce nous fit sursauter, Jean-Paul (1) et nous : celle clamant le retour, le lundi suivant et les jours d'après à 18 h 25, de Tournez manège. «Ach, pestâmes-nous de conserve pendant que Jean-Paul (1), songeur, regardait en même temps la télé et la fenêtre, foutue nostalgie.» Jean-Paul (1) opina et, de sa voix de crapaud asthmatique, surenchérit : «Et une nostalgie que rien ne peut assouvir parce qu'elle n'est, au fond, désir de rien.» Il est fortiche, Jean-Paul (1), quand il s'agit de faire des phrases mais sinon, il est un peu bigleux. Car il n'avait pas vu, l'innocent, que la nostalgie dont se repaît tant et plus la télévision en cette rentrée entre en collision frontale avec… vous avez deviné : Nicolas Sarkozy. Qui donc, la semaine dernière, s'embrouille avec Arlette Chabot, directrice de l'info de France 2, pour réclamer le retour de la depuis longtemps décédée Heure de vérité ? Eh ouais. Qui ne cesse d'invoquer comme exemples à suivre pour la télévision publique ces vieilleries de Thierry la Fronde , de Grand Echiquier ou d' Au théâtre ce soir ? Eh ouais. Le président de la République en rêvait, la télé l'a déjà fait, imbibant ses grilles de nostalgie concentrée, tel Marcel (1) sa madeleine. La preuve.

Terni manège

Ils sont futés chez TF1. Leur souci ? La case de l'afterschool (comprendre, «après l'école») qui voit l'adolescent, au lieu de faire ses devoirs en regardant la Une, filer sur la TNT. Diagnostic de TF1 : ce qui marche, sur la TNT, ce sont ces émissions de dating où des ados viennent se renifler l'arrière jean troué. Et là, dans la tête des pontes de la Une, lumière : Tournez manège . Et là, lumière bis : Cauet aux manettes, ça fera jeune. Et là, lumière ter : ah non, rien. L'idée de génie a pris forme lundi dernier et les yeux nous ont piqué. Du bleu ! Du rose ! Du brillant ! Du Cauet ! De la secrétaire de 27 ans ! Du grutier de 26 ans ! Du concept original, TF1 n'a gardé que l'épure : installés qui sur un quart de manège bleu, qui sur un quart de manège rose, trois hommes et deux femmes (ou l'inverse) se posent des questions au travers d'une cloison, jusqu'à ce qu'elle tombe et que oh, mais tu es vilain(e) comme un pou ! Comme des wagons de télé-réalité sont passés par là depuis Charly Oleg et Evelyne Leclerc, TF1 rajoute une petite touche loftienne : les deux éventuels tourtereaux sont invités, avant de se décider à repartir ensemble ou pas, à passer dix minutes dans un décor d'appartement truffé de caméras. Sinon, ouais, c'est toujours aussi formidable et les questions débilos : «Pour toi le mariage est-il la concrétisation de l'amour ?» , «Est-ce que, pour toi, la compagnie d'animaux te gênerait ?» , «Que penses-tu des gens qui se déguisent pour pimenter leurs ébats ?» , «Au lit tu serais plutôt lionne ou panda ?» Et les réponses qui vont avec : «Lionne» , «Moi ça me dérange pas, je me déguise pas mal en père Noël» , «Pas du tout, j'ai deux chiens» , «Heu… oui et non.» (oui on les a mises dans le désordre pour que tu puisses jouer, lecteur). L'apport de Cauet au bouzin est encore difficilement perceptible sinon pour faire hululer l'assistance en annonçant avec force clins d'œil «les questions d'ordre privé, ahah, très privé» . Le tout avec le regard froid de celui qui, badinant avec la Chantal de Marseille adepte du cuir et latex, des voyages et du champagne, attend que TF1 lui tricote des jours meilleurs.

L’école des fanés

Plam plam plam… Plam plam plam… Dès les premières notes on se sent aussi primesautier qu'un salarié de France Télécom un jour de mutation. Il a pourri nos dimanches d'enfance, et il pourrit nos samedis d'adultes : il est de retour, sous vos applaudissements - attention à la nostalgie mise en abyme -, l'ancien présentateur du Juste Prix Philippe Risoli anime l' Ecole des fans . (on vous accorde une pause pour digérer, là, là, ce n'est pas grave, pleurez un bon coup, nous aussi ça nous a fait ça). C'est sur Gulli, la chaîne des chtits nenfants et de leurs parents, un samedi par mois à 20 h 35. «On est une chaîne famille, explique la directrice des programmes, Karine Leizin, on joue sur la fibre nostalgique, on est dans la transmission et c'est une émission pleine de bonheur et de complicité.» Mais bon sang ! On s'était pourtant mis d'accord à Yalta pour arrêter les conneries ! Là, à part Jacques Martin qui ne présente plus (à coup sûr, encore un coup de Sarkozy furieux à l'idée de voir l'ex de son ex revenir à la télé), tout est identique. Les fauteuils rouges du théâtre (de Rueil-Malmaison à la place de l'Empire), les moutards à qui on offrirait bien leur poids en Ritaline ainsi qu'un pass gratuit pour la boîte à gifles, les deux musiciens au bord de la névrose de devoir accompagner ces casseroles, les notes des enfants, le «tout le monde a gagné» de la fin, le micro qu'il faut régler. Et même les parents (dont, déprime ultime, un ancien participant) dans le public sont là, l'œil toujours vissé à leur caméscope dont seule la taille, considérablement réduite, indique qu'on est en 2009.

Le juste cri

Et là ce farceur de Jean-Paul (1) se met à citer la mémé de Benjamin Castaldi : «La nostalgie n'est plus ce qu'elle était.» Tu ne crois pas si bien dire notre Paulo, car qui regarde ces vieilles émissions ? Eh bien les jeunes qui, comme l'a montré une récente étude de NPA Conseil, prisent particulièrement les resucées de cacochymes jeux ainsi que, un comble, les Enfants de la télé . Soit un vieux jeton d'émission qui parle d'autres jetons encore plus vieux. Alors avec Jean-Paul (1), on a ouvert un Télé 7 Jours et on a halluciné. Partout des émissions d'il y a 10, 20, 30 ans au minimum : le retour d'Evelyne Thomas sur Direct 8 (accompagnée de, c'est vertigineux, Margaux Sabatier, fille de), la résurrection sur TF1 - dont la créativité frise le montant du déficit - du Juste Prix , d' Une famille en or , de la Roue de la fortune . A chaque fois, la même hystérie des candidats (cette semaine, dans la Roue de la fortune, une Betty s'est lancée dans une danse des castagnettes assez inquiétante), la même aigreur des animateurs qu'on sent tenus par une fin de contrat… Il faut voir Dechavanne masquant à peine, en bord de Roue, son dégoût pour l'exercice. Jean-Paul (1) était fasciné : «L'enfer, c'est la nostalgie» , a-t-il coassé. On l'a recadré, le vieux : l'enfer, c'est les autres.

(1) Sartre.

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