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Libération

Neuf invente la musique en liberté surveillée

par Catherine Maussion
publié le 20 août 2007 à 10h18
(mis à jour le 20 août 2007 à 10h21)

Neuf mise sur la musique et frappe un grand coup. L’offre «triple play» (Internet haut débit, télévision et téléphone en illimité) s’enrichit d’un quatrième service en illimité: le téléchargement de musique. Le tout pour le même prix: 29,90 euros par mois.

Le fournisseur d’accès est le premier à lâcher les vannes de la musique sur son accès Internet. On pourra donc, en toute légalité, télécharger le Requiem de Mozart (par Karl Böhm) ou le dernier tube d’Eminem d’un clic sur son PC, les transférer d’un second clic sur son baladeur, ou sur son mobile MP3, et les écouter jusqu’à plus d’oreilles, sans encourir les foudres des traqueurs de pirates. L’offre est dévoilée ce matin et proposée dès cette semaine aux abonnés de Neuf Cegetel. L’opérateur craindrait même une surchauffe sur son site de téléchargement, tellement il est convaincu d’avoir trouvé, avec la musique à gogo, la martingale pour doper ses ventes.

L’offre est aguichante. Elle est néanmoins cadrée par une série de restrictions. Le choix des titres se limite au catalogue d’Universal. Plus exactement à la musique digitalisée et déjà proposée en ligne par le producteur (autour de 150 000 titres). Certes la major détient un bon quart du marché, mais pas forcément l’artiste auquel on tient. Seconde restriction: il faut se résigner à choisir son genre (pop, rock, variétés françaises, jazz/blues…). Et s’y tenir: on ne peut pas passer d’une catégorie à l’autre en cours d’abonnement. Neuf, dont la clientèle est familiale, raisonne par foyer. On pourra brancher sur le service trois PC. Ce qui présage une petite bagarre au sein de la famille pour choisir le style. A moins d’opter pour un accès à l’intégralité du catalogue Universal, soit une majoration de l’abonnement de 4,99 euros par mois…

La dernière restriction est moins spectaculaire mais plus fondamentale. Pour continuer d'accéder à ses morceaux, il faut connecter sur Internet PC et baladeurs au moins une fois par mois. Sinon, la musique s'évanouit, comme dans un mauvais tour de magie. Neuf et Universal ont choisi de protéger la musique qu'ils diffusent sans retenue. Les titres sont verrouillés par des DRM . Si l'abonné résilie son accès haut débit, les fichiers deviennent illisibles. Et il n'est pas possible de se protéger en gravant des CD. Les DRM entraînent dans leur sillage toute une gamme de petites vexations. Neuf et Universal ont choisi la solution Microsoft. Les PC doivent être équipés de Windows Média Player, et les lecteurs MP3 compatibles avec la DRM Windows. Neuf va fâcher les inconditionnels d'Apple, les maniaques de l'Ipod et les possesseurs de baladeurs Sony, interdits du service…

Julien Dourgnon, spécialiste du sujet à l'UFC-Que choisir, reconnaît l'intérêt de l'offre, côté prix, mais il vitupère contre la solution technique : « On est en train d'assister à des alliances objectives entre ceux qui ont les tuyaux et ceux qui ont les contenus pour créer des enclaves où on enferme les clients.» Et de dénoncer une entorse au droit de la consommation : «On se retrouve devant un cas de vente liée implicite» , où l'abonné est ficelé à la fois avec Neuf, avec Universal, et même avec Microsoft. L'offre, ajoute t-il, est «contraire à l'idée d'accès universel à la culture» . Autrement dit : si Miles Davis et John Coltrane ne sont pas chez Universal, on vous interdit de les découvrir. Et l'association de plaider pour la suppression générale des DRM sur la musique en ligne : les consommateurs doivent pouvoir acheter la musique de leur choix et en faire ce qu'ils veulent.

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