«Newsweek», le Net à la noce

par Fabrice Rousselot
publié le 18 novembre 2010 à 11h15

De notre correspondant à New York

Il y a encore peu, c'est un mariage que personne n'aurait osé imaginer. Un prestigieux magazine de 77 ans, qui se met à la colle avec un site web d'à peine deux ans en mal de notoriété ? Mais voilà, en août dernier, Newsweek , peut-être l'un des hebdomadaires les plus connus de la planète, a frôlé le dépôt de bilan. Avant d'être revendu pour 1 dollar symbolique par le Washington Post à un businessman nonagénaire ayant fait fortune dans les équipements audio, Sydney Harman. Depuis, Newsweek cherchait le chemin de la résurrection. Il a annoncé en fin de semaine dernière son alliance avec The Daily Beast , le site web culturo-politique fondé en 2008 par l'incontournable Tina Brown , la rédactrice en chef certainement la plus glamour sur la place de New York, qui s'est fait un nom en relançant Vanity Fair puis The New Yorker .

L'alliance est une première dans le monde pourtant turbulent de la presse américaine. Jamais auparavant un magazine n'avait développé une collaboration avec un site d'informations générales plutôt perçu comme concurrent, et sans affinités particulières. «C'est difficile de dire ce que Newsweek sera dans le futur, mais il sera sûrement très différent de ce qu'il est actuellement , estime Thomas O'Hanlon, professeur au département de journalisme du Lehman College, à New York. C'est le mariage du vieux et du nouveau et beaucoup de questions restent posées. Avec ses problèmes actuels, Newsweek cherche à élargir son audience. Quant à The Daily Beast, il peut tirer bénéfice du prestige de l'hebdomadaire. Mais personne ne peut garantir que le produit final satisfera les lecteurs.»

Pour Newsweek, c'est aussi une question de survie. En rachetant le magazine à l'été, Sydney Harman s'était engagé à éponger des dettes estimées à plus de 40 millions de dollars (29,6 millions d'euros). Malgré sa notoriété, l'hebdo né en 1933 n'a pu endiguer une perte importante de son lectorat, avec une diffusion qui dépassait les 3 millions d'exemplaires au début des années 2000 et qui a chuté de moitié aujourd'hui. Même chose pour les revenus publicitaires, qui ont baissé de près de 30% entre 2008 et 2009. Une tentative de remaquetter le magazine l'an dernier et d'y ajouter plus d'analyses sur l'actualité n'a pas suffi à lui redonner des couleurs. Pire encore, plusieurs de ses grandes plumes sont parties les unes après les autres, préférant rallier la concurrence. «Quelque part, les difficultés de Newsweek marquent la fin d'une époque , commente Charles Whitaker, spécialiste de la presse magazine à Northwestern University, celle de l'hebdomadaire d'informations générales qui s'adresse à tout le monde sur tous les sujets. Newsweek devait se réinventer en essayant autre chose et a apparemment décidé de choisir de se transformer en une nouvelle plateforme multimédia, papier et Web.»

Pour l'instant, personne ne sait encore quel visage aura le nouveau Newsweek, ou quelle sera l'étendue de sa convergence avec The Daily Beast. La nouvelle société aura pour nom The Newsweek Daily Beast Company. Tina Brown, qui a été nommée rédactrice en chef des deux entités et qui avait tout d'abord rejeté les tentatives d'approche de Newsweek , a seulement laissé entendre qu'elle allait faire du magazine quelque chose de «plus attrayant» et de plus graphique aussi, avec une utilisation plus radicale de la photo. The Daily Beast pourrait, lui, se contenter dans un premier temps de rapatrier les articles de fond de l'hebdo sur son site et de les mêler à ses blogs et à ses propres contributions.

«L'idée est que le site apporte un peu de légèreté au magazine et que le magazine donne un peu plus de poids politique au site. Newsweek a besoin d'une toilette générale et d'articles à la fois plus originaux et plus commentarisants. Tina Brown a très bien su apporter cette touche de folie à Vanity Fair et au New Yorker, c'est pour cela que Newsweek la voulait tellement» , explique un journaliste qui a collaboré avec Brown. «Newsweek doit retrouver une identité propre , poursuit Charles Whitaker. Le magazine a plus souffert que Time, qui a conservé plus de lecteurs. Quelque part, il y a un peu de désespoir dans cette démarche. Soit nous allons assister à la création d'un nouveau modèle économique pour la presse, et tout le monde se mettra à le copier. Soit la synergie ne prendra pas et tant Newsweek que The Daily Beast risquent de se retrouver dans une situation fort délicate.»

Ce qui est sûr, c'est que la nouvelle plateforme (le «Beastweek» comme l'a appelé le New York Times ) veut se donner le temps de réussir et qu'elle en a - a priori - les moyens. A la fortune de Sydney Harman s'est en effet ajoutée celle de Barry Diller, ex-mogul hollywoodien reconverti dans l'Internet et propriétaire de The Daily Beast. Ce dernier a reconnu que le site perdrait environ 10 millions de dollars (7,4 millions d'euros) cette année, mais s'est dit «confiant dans le futur». Il compte notamment profiter du support papier que représente Newsweek pour augmenter ses revenus publicitaires. A en croire les deux parties, en tout cas, aucun «changement majeur» n'est à attendre avant le début de l'année prochaine. Premier dossier sur la table : le maintien du site de Newsweek en tant que tel (Newsweek.com) ou son remplacement par un nouveau site en duo avec The Daily Beast.

Paru dans Libération du 17/11/2010

Lire les réactions à cet article.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique

Les plus lus