Nonce Paolini: le nouveau cerveau disponible de TF1

Exit Patrick Le Lay. Dès cet après-midi, cet inconnu du grand public deviendra de fait LE patron de la Une. Première couleuvre : il sera flanqué d'un adjoint, parachuté de chez Sarkozy, Laurent Solly.
par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
publié le 22 mai 2007 à 13h01

A partir d'aujourd'hui, c'est lui le patron. Un caïd qui rassemble chaque jour près d'un tiers des Français devant leur écran. C'est le patron de TF1 : plus de 30 % de l'audience, 55 % du marché publicitaire, la télé la plus vue en Europe, la chaîne qui vous pose à l'Elysée comme qui rigole. Lui, c'est Nonce Paolini. Qui ça ? Nonce Paolini, 58 ans. Inconnu du grand public, tout comme l'était l'ingénieur du BTP Patrick Le Lay quand il a pris les rênes de TF1 en 1987. Cet après-midi, lors d'un conseil d'administration, les fonctions de président et de directeur général, que cumulait depuis vingt ans Patrick Le Lay, vont être dissociées. Le Lay restera président pendant deux ans, mais le nouveau poste est quasi honorifique. C'est Paolini qui sera le véritable patron de TF1. L'affaire a été menée de main de maître : en douceur et dans la plus grande discrétion, les deux piliers de TF1 depuis vingt ans, Patrick Le Lay et Etienne Mougeotte, ont été éjectés coup sur coup. Il faut dire que Le Lay allait atteindre la limite d'âge légale en juin. Une limite qu'il a tenté de faire repousser ­ il y a quelques mois, il fanfaronnait encore qu'il serait là jusqu'en 2010 ­ en vain. Martin Bouygues, patron du groupe éponyme et proprio de TF1, a refusé, préférant lui trouver un successeur avant la présidentielle, façon de couper court à toute interprétation politique. Annoncé en février, Paolini est officiellement intronisé aujourd'hui. C'est un homme du sérail, un Bouyguesman pur jus, loin des paillettes de la télé, qui décroche le poste tant convoité. De lui, on ne connaît guère pour l'instant que sa bobine : portrait anthropométrique.

L'oreille de Bouygues

«Paolini, c'est l'anti-Mougeotte» , explique un fin connaisseur des grands fauves du PAF. A savoir, un type qui n'a pas les réseaux tentaculaires de Mougeotte, rendant service, recevant et renvoyant l'ascenseur, faisant plaisir ou déplaisir. Il a quelques proches à TF1 : le directeur de l'information, Robert Namias, et Nicolas Hulot. Pas d'amitié politique connue. Mais il est très lié à Martin Bouygues. Lequel ­ il le revendique ­ est l'ami intime de Nicolas Sarkozy, et là, malaise : Paolini sera-t-il, par Bouygues interposé, la voix de son maître ? Mercredi dernier est annoncée la nomination à TF1 de Laurent Solly, directeur de campagne adjoint de Sarkozy, 36 ans, inspecteur des finances, aucune expérience à la télé mais bombardé directeur général adjoint de TF1. Dans la journée, le groupe de BTP dément : Solly sera conseiller «auprès de Martin Bouygues» . Entre-temps, Paolini a appelé Bouygues pour refuser le cadeau empoisonné . Finalement, il devra avaler sa première couleuvre, et elle est de taille : interrogé par Libération hier, Franck Louvrier, conseiller en communication du chef de l'Etat, confirme que «pour l'instant Laurent Solly fait le tour des entités de la holding du groupe Bouygues, et, dans la première quinzaine de juin, il sera DG adjoint de TF1» . Joint par Libération, TF1 n'est pas au courant.

Le sourire de Mazarin

Il n'a pas exactement le profil du roi du rire : il a fait la plus grande partie de sa carrière comme DRH, il a le soulier brillant et le costume sobre, et puis, bon, il s'appelle Nonce tout de même. Et pourtant, quand vient la convention annuelle de TF1, Nonce Paolini (élu DRH de l'année 2000 par le Figaro ) revêt son habit de lumière, et shazam ! C'est Claude François période pattes d'eph et paillettes qui apparaît. Ou Indiana Jones. Ou, sophistication ultime, Mazarin, un autre nonce, entouré de mousquetaires. Eh oui, pas à un paradoxe près, Nonce Paolini adore se déguiser . «Oui, il a de l'humour, mais attention, prévient un ex-collaborateur, c'est pas youplaboum !» Déguisé en Mazarin ou pas, il semble qu'aller taper sur le ventre de Nonce Paolini ne soit pas l'idée du siècle : «Ce n'est pas un enfant de choeur, poursuit l'ex-collaborateur , il sait parfaitement ce qu'il veut. Il est ferme et sait se faire obéir. Mais toujours avec gentillesse et chaleur.»

Il a Mougeotte dans le nez

Etienne Mougeotte, vice-président de TF1 en charge des programmes, n'a pas du tout apprécié que son ex-DRH soit nommé à la place de Le Lay, c'est-à-dire au-dessus de lui. C'est que ces deux-là ne peuvent pas se voir en peinture. En 2001, Mougeotte goûte de moins en moins les intrusions de Paolini sur ses plates-bandes des programmes. Et puis il y a la goutte d'eau : «l'âge des capitaines» . La formule est attribuée à Paolini critiquant ainsi la paire de papys Le Lay-Mougeotte qui sucrerait un peu les fraises. L'attentat est sévèrement puni : Paolini est éjecté de TF1, récupéré par Martin Bouygues, qui l'installe à Bouygues Télécom. Le retour de Paolini marque la fin de Mougeotte à TF1 : officiellement conseiller de Paolini, Mougeotte ne sera plus sur la Une qu'à mi-temps, avant de quitter définitivement la chaîne d'ici la fin de l'année. En septembre, ce n'est pas lui qui, comme à l'accoutumée, présidera la présentation des programmes de rentrée de TF1. Ce sera Paolini.

Front populaire

Une grosse tête ? Nonce Paolini n'a pas le profil des grands patrons de la télé. Pas ingénieur, pas énarque, il a en poche une maîtrise de lettres et un diplôme de Sciences Po Paris. On raconte même qu'il a fait guili-guili aux barricades de Mai 68. Tempête sous un crâne ? Comment celui qui est né dans une famille de gauche avec une grand-mère communiste et un père socialiste se sent-il au sein de la chaîne qui a vu, le dimanche 6 mai, jour du second tour, PPDA sabrer le champagne à 18 h 30 ? Certainement sans état d'âme , comme quand, en juin 2001, sur ordre de Patrick Le Lay, il débarque Anne Sinclair de TF1 en cinq minutes, récupérant son badge d'accès à la chaîne. Pour autant, une gageure pour un ex-DRH, l'homme est populaire chez Bouygues Télécom, comme à TF1.

Derrière les lunettes...

«Il n'y a pas grand-chose qui transparaît derrière les lunettes, explique une connaissance. Nonce, c'est l'incarnation du mystère, c'est un personnage florentin Au moins le changement sera-t-il total avec le bouillant Patrick Le Lay, jamais en mal d'une saillie, si possible à l'emporte-pièce, que ce soit sur la Bretagne ou son fameux «temps de cerveau disponible» vendu à Coca-Cola. «Je ne l'ai jamais vu se mettre en colère, raconte une ancienne collaboratrice, ou alors des colères froides.» A TF1, tout le monde le connaît, et il connaît tout le monde, puisqu'avant d'être embauché, il fallait en passer par lui: «C'est un laser, souligne un salarié, quand je suis passé devant lui, il avait repéré les failles et savait précisément quel univers je devais intégrer.» Il est également considéré comme un fin renard : «C'est un tacticien, un diplomate, il sait manoeuvrer.» Son secret ? «Il a de la distance, un recul sur les choses, ça le rend solide.» Il va en avoir besoin pour être l'homme de la rupture, estime un fin connaisseur de la Une : «Je ne sais pas ce qu'il fera ni comment il le fera, mais on ne change pas TF1.»

Le cheveu noir

Normal, Nonce Paolini est corse . Enfin, moins corse que Le Lay n'est breton mais il n'a pas de mal. Ce dernier, fondateur de TV Breizh, avait lancé en septembre 2005 : «Je ne suis pas français, je suis breton.» Paolini, lui, la joue Corse intégrée dans la république. Il y passe ses étés dans la maison familiale à Ghisonaccia, gros village de la côte orientale, celle des vignobles. On le dit d'ailleurs amateur de Clos Landry, une production locale appréciée, et de vin en général. Mais sa passion, c'est le jazz : Summertime , version Charlie Parker, sur son téléphone, 10 000 disques dans sa collec et une chaîne hi-fi de pro pour les écouter. Qu'on se rassure, Nonce a les moyens de son hobby, et ça ne devrait pas se dégrader en devenant DG de TF1, où son salaire devrait, parts fixe et variable mélangées, se situer quelque part entre 1,5 million d'euros par an (le salaire de Mougeotte) et 2,1 millions d'euros (celui de Le Lay). Une bien modique somme, Catherine. Oui, Catherine, et plus précisément Catherine Falgayrac, épouse de Nonce Paolini et présentatrice de Téléshopping chaque matin à 8h30 sur TF1.

...des rides, et c'est pas fini

Nonce Paolini a du pain sur la planche . L' audience de TF1 reste certes imposante, mais elle s'effrite face à la montée de la TNT, que Le Lay a combattue avec tant d'acharnement. Aujourd'hui, alors que l'ensemble des groupes de médias s'est diversifié, la Une ne se résume quasiment qu'à... la Une. Surtout depuis que Patrick Le Lay a vendu son bouquet satellite TPS à Canal +, l'ennemi de toujours. Très peu développée à l'international (hormis Eurosport), peu présente sur les nouvelles technologies (son offre de téléphonie mobile a été arrêtée faute de succès alors que celle de M6 marche très bien), TF1 s'est encroûtée. En interne, Paolini devra aussi régler la question de la rédaction . Le fauteuil de son ami Namias semble, pour cause de farouche inimitié sarkozyste, bien vacillant : «La rédac est un vrai panier de crabes en ce moment, raconte un journaliste, avec une poignée de personnes qui fait campagne pour remplacer Namias.» Résultat, en ce moment à TF1, «tout le monde se dit proche de Sarkozy, poursuit ce journaliste, PPDA et Claire Chazal racontent être allés dîner chez François Sarkozy [frère du président, ndlr] » .

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