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Libération

«Nous sommes au début de l'industrialisation de la musique en ligne»

par Sophian Fanen
publié le 9 avril 2012 à 16h22

Michel Allain est le directeur technique de la Sacem, la plus grosse des sociétés de gestion des droits d'auteur en France. Il est aussi au board du Global Repertoire Database (GRD), le groupement qui tente de mettre au point une base de métadonnées commune à tout le secteur de la musique en ligne.

Ce groupe de travail s'est réuni suite à une initiative de la Commission européenne qui date déjà de 2009. Outre les membres fondateurs (EMI Music Publishing, Universal Music Publishing, PRS for Music , STIM , la Sacem , iTunes, Amazon et Nokia) se sont ajoutés Google, la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs ( Cisac ), l'European Composer and Songwriter Alliance (ECSA), l'International Confederation of Music Publishers (ICMP), et Omnifone , une entreprise spécialisée dans les solutions techniques pour la musique en ligne. Une belle brochette représentative des différents métiers concernés par ce chantier des métadonnées: éditeurs, plateformes de diffusion, représentants des artistes...

Les premières réunions du groupe GRD se sont tenues fin 2011 et fin mars dernier et abordent la phase préparatoire des travaux: justification de l'existence du groupe de travail, organisation, objectifs. Ces réunions s'écoutent ici .

Quel est le constat qui a entraîné la création du groupe de travail sur le GRD?

Il y a eu au départ un laxisme ou un désintérêt de la part des maisons de disques, qui s'occupaient de la musique mais pas des métadonnées qui l'accompagnent. La conséquence, c'est que les métadonnées sont désordonnées. Les labels ont pris conscience très tard de l'importance du dossier.

Ce qui est surprenant, c'est que le code ISRC , qui immatricule chaque enregistrement, ne garantisse pas sa bonne reconnaissance aujourd'hui.

En fait, ce code ISRC est un point noir aujourd'hui. Chaque enregistrement en est doté, mais on s’aperçoit que les identifiants, qui doivent être uniques et suivre un enregistrement toute sa vie, ne sont pas uniques... Il y a des doublons, parce que la création du code ISRC est parfois mal faite, ou vite fait à la toute fin de l'enregistrement en studio.

Comment fait la Sacem aujourd'hui pour suivre la diffusion des œuvres dont elle a la charge?

On a mis en place des systèmes de contournement pour corriger les erreurs dans les métadonnées et pouvoir travailler. La Sacem utilise un moteur de reconnaissance des œuvres sonores qui recoupe le code ISRC, mais aussi les métadonnées et l'empreinte sonore. Grâce à cette intelligence artificielle, on reconnaît aujourd'hui 99,6% du catalogue d'iTunes. Mais tout ça a un coût et des conséquences en matière de marketing, car de mauvaises métadonnées entraînent des dysfonctionnement dans les systèmes de recommandation. C'est entre autres ce qui a motivé le lancement du GRD.

Quand doit-il aboutir?

Les premières versions du GRD sont attendues d'ici trois ans. On est au début de l'industrialisation de la musique en ligne. La première étape c'est le DDex , la seconde sera le GRD. Comme on ne peut pas tout faire en même temps, on commence par l'urgence: la gestion des métadonnées et des licences paneuropéennes.

Ces licences paneuropéennes ont bloqué le paiement entre iTunes et la Sacem en 2010, c'est lié aux métadonnées?

Oui. C'est la conséquence d'une directive européenne de 2005 sur la fragmentation des répertoires. Jusque là, la Sacem représentait le répertoire mondial d'un éditeur sur le territoire français. Aujourd'hui, on peut être en charge de bouts de ce même répertoire dans le monde entier. Universal par exemple a confié tout son répertoire à la Sacem pour l'Europe. Cette situation a généré des confusions, des incertitudes et des revendications de droits incohérentes, car la Sacem pouvait collecter des droits en Allemagne et une société de répartition allemande faire de même sur une même œuvre. Hors, iTunes opère sur l'Europe entière, et s'est retrouvé avec des ventes facturés plusieurs fois... Une fois tous les droits cumulés, on arrivait à 105% de ce qui aurait dû être collecté par les différents sociétés de gestion des droits. Le GRD va pouvoir centraliser les informations sur ces licences paneuropéennes: en plus de fournir des métadonnées uniques et certifiés pour un enregistrement, il saura dire qu'un téléchargement ou un stream dans tel pays pour telle œuvre donne tant à la Sacem, tant à la Gema allemande, etc. Ça va simplifier les choses et accélérer le paiement des droits.

Est-ce que ce n'est pas gênant que Google, qui a récemment racheté RightsFlow et pourrait grâce à cela entrer en concurrence avec les sociétés de gestion collective des droits, soit également partie prenante du groupe de travail sur le GRD?

Google, comme Apple ou Amazon, est présent mais pas décideur dans le GRD. Ils ont un rôle consultatif en tant qu'utilisateurs. Les décideurs sont les éditeurs et les sociétés de gestion des droits. Le rachat de RightsFlow par Google a été un événement. Que le GRD aboutisse ou pas, Google ou Amazon pensent à jouer leur carte sur la gestion des droits... Nous sommes dans un monde de concurrence.

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