Nouveau relief à l'horizon

par Olivier Seguret
publié le 17 octobre 2007 à 0h51

La sortie aujourd'hui en France de Bienvenue chez les Robinson est un événement purement symbolique : jamais sans doute l'histoire de la cinéphilie ne retiendra cette date ni ce film d'animation néofamilialiste et médiocre. En revanche, il n'est pas impossible que l'histoire des techniques du cinéma, ou celle des pratiques de sa consommation, se souviennent du 17 octobre 2007 comme étant le jour où le public français a établi son premier contact avec le cinéma numérique en relief. Sur les 350 écrans réservés par Disney pour la sortie de Bienvenue chez les Robinson (Meet the Robinsons), huit sont en effet destinés à accueillir une projection stéréoscopique dite en trois dimensions, via un procédé qui n'en est qu'à ses balbutiements industriels, mais qui est en passe d'être adopté comme norme technologique outre-Atlantique : le relief numérique.

Filon. L'expérience de cette nouvelle 3D ne bouleversera pas ceux qui ont connu les précédentes tentatives de cinéma en relief, malgré un très net gain en confort optique. Parce qu'il produit d'intéressants effets sur les perspectives et, surtout, sur la notion de cadre, dont les bords semblent flotter en suspension, le relief réclamerait une écriture particulière pour être potentialisé. La grammaire artistique du relief est peut-être prometteuse, mais reste à inventer, ce qui n'était pas du tout le propos de Stephen J. Anderson, réalisateur de ces Robinson, ni le dessein de Disney qui le produit, la maison Mickey étant l'un des plus actifs propagandistes du relief.

Vu d'ici, en France, patrie de l'auteur, royaume des structures légères et du réalisme en son direct, la question du relief numérique est largement perçue comme une incongruité. C'est à cause de notre si profonde et si précieuse imprégnation culturelle : il n'y a rien à faire, nous trouverons toujours, et avec d'excellentes raisons, que le film d'animation le plus sophistiqué de l'année, c'est le Persepolis de Marjane Satrapi et non pas Shrek III,Ratatouille ni même Arthur et les Minimoys. Nous sommes sans doute indécrottables, mais c'est comme ça : nous ne concevons pas la sophistication dans les mêmes termes que les Américains. Il en était un peu de même avec le triomphe que le public français avait réservé à Kirikou, mascotte là encore emblématique - et d'une certaine façon politique - de l'idée que nous nous faisons du film d'animation d'auteur, indépendant et antihollywoodien.

C'est néanmoins Hollywood qui continue de tenir fermement les manettes de l'industrie du film d'animation. Et Hollywood a décidé que cette industrie devait passer à une étape nouvelle, celle du relief.

Depuis la généralisation, dans le sillage de Toy Story et du précurseur studio Pixar, de l'utilisation d'images de synthèse en lieu et place de ce que nous appelions «dessins animés», c'est toute la chaîne de production qui a migré vers le numérique, accompagnant le développement tout à fait remarquable de la filière : l'animation, dont la cible s'est considérablement élargie en incluant toujours davantage de publics adultes, est ainsi devenue le filon le plus rentable de l'industrie américaine du cinéma, et celui qui a progressé le plus fortement ces quinze dernières années. Après la production, c'est aujourd'hui l'exploitation qui se met au diapason, certains diraient au pas, du numérique. Pour l'instant, l'écrasante majorité de ces films tournés en numérique sont encore tirés sur pellicule pour être projetés, en France et dans le monde, par des projecteurs classiques. Mais sur le territoire des Etats-Unis, un vaste plan d'équipement de salles en projecteurs numériques bat son plein, dont les financements privés (1) ont permis d'atteindre rapidement le seuil massif de plus de 4 000 écrans équipés. contre une trentaine environ pour la France (2).

Dans ce contexte industriel en voie de complète numérisation, l'introduction du relief est présentée par les majors comme un prolongement naturel, et surtout accessible. A la différence des procédés inventés depuis les années 50 qui réclamaient l'installation d'un double projecteur, ce nouveau relief est à la portée de tout exploitant disposant déjà d'un projecteur numérique, auquel un adaptateur est ajouté pour les séances en trois dimensions.

Lame de fond. Adieu lunettes anaglyphes rouges et vertes : les optiques chaussées par le spectateur ont elles aussi fait de grands progrès, quel que soit le procédé retenu parmi ceux qui se font concurrence. Certaines, dites lunettes polarisantes actives, contiennent des piles, sont en phase avec le projecteur et changent de polarisation à son signal infrarouge. D'autres, dites passives, sont moins chères, mais nécessitent un écran métallisé dédié.

D'ici Noël et à la suite des Robinson du jour, on devrait assister à une montée en puissance progressive de l'offre en relief. Dès novembre, 1 200 écrans américains accueilleront la version 3D de Beowulf, film d'épouvante gothique de Robert Zemeckis (en France le 21 novembre). Autre cas de figure promis à se renouveler : la ressortie dans une version relief d'un classique, comme l'Etrange Noël de Monsieur Jack de Tim Burton, qui nous revient sous forme 3D dès mercredi prochain.

Si l'on observe le calendrier des vingt prochains mois, c'est le sentiment d'une lame de fond, progressive et rationnelle, qui se dégage. Après avoir subtilement instillé le désir ou la curiosité dans les grands festivals (un concert filmé de U2 à cannes, l'Etrange Noël. de Burton à Venise), après avoir multiplié les sneak-previews et les tests à échelle réduite aux Etats-Unis (Chiken Little et Monster House ont bénéficié de telles sorties ciblées, qui se sont avérées très rentables), c'est à une nette montée en puissance qu'il faut s'attendre dans les saisons prochaines, et même à un déferlement en 2009. Oui, ça fait loin, mais les cycles de production de cette industrie sont ainsi faits que c'est dès aujourd'hui que se conçoivent les films du dernier Noël de la décennie, ainsi que les campagnes de com qui les accompagnent. L'été 2007 a d'ailleurs été le théâtre d'un affrontement entre deux projets en cours de production qui visaient exactement le même créneau, le 15 mai 2009, et le même nombre de salles équipées en relief (5000 estimées à cette date) : d'une part la compagnie DreamWorks, avec Monsters vs. Aliens ; de l'autre la Fox et James Cameron, avec le thriller SF Avatar, qui suscite déjà les plus fébriles attentes (lire ci-dessous). DreamWorks Animation a finalement cédé en avançant sa sortie au 27 mars de cette année-là. Jeffrey Katzenberg, patron de ce studio, s'est saisi du relief avec une ardeur de croisé : «C'est la meilleure chose arrivée au cinéma depuis trente ans, la plus grande innovation depuis la couleur» (3), proclame-t-il en précisant que tous les films d'animation Dreamworks seront disponibles en 3D d'ici deux ans.

Parade. Signal d'une volonté de remettre le film en salles au centre de l'industrie de l'entertainment, le même Katzenberg exprime clairement son objectif :«Le relief est le meilleur moyen pour le cinéma de reconquérir les publics jeunes qui ont été détournés par le jeu vidéo (4).» A tort ou à raison, le relief est en effet largement perçu par l'industrie américaine comme une excellente parade aux deux fléaux qui l'inquiètent le plus : le piratage et la multiconcurrence que lui font les autres écrans (télévision, Internet, jeu vidéo et téléphone mobile). Pour le piratage, c'est très simple : en l'état actuel des choses, le relief numérique n'est pas piratable et on ne voit pas comment il pourrait l'être à échéance raisonnable.

Pour la concurrence que font au cinéma toutes les nouvelles formes de l'industrie du divertissement, l'argument du spectacle incomparable est plus hasardeux. Certes, la technologie qui permettra aux écrans PC d'accueillir le relief n'est encore qu'une lointaine frontière, mais elle est sérieusement envisagée par les labos en recherche et développement des plus gros acteurs de l'industrie électronique. A l'inverse, les technologies permettant la projection en relief chez soi via un home cinema adapté 3D sont disponibles sur le marché américain, quoique hors de prix (la compagnie Sensio s'est fait une spécialité de ce luxe de milliardaire).

Reste une question : après le relief, quelle pourra bien être la nouvelle nouvelle frontière du cinéma hollywoodien pour repousser encore les limites de l'immersion ? L'hologramme, la greffe de cornée, l'implant neuronal ou le cinéma chimique directement livré par shoot ?

(1) Essentiellement les grands studios eux-mêmes, via les virtual print fees, payées sur les économies de tirages de copies que leur permet de réaliser la diffusion numérique. (2) La Grande-Bretagne, avec environ 250 écrans numériques, est le pays le mieux équipé de l'U.E., grâce à des fonds prélevés sur les caisses de la Lottery. (3) Le Film français du 6 juillet 2007. (4) Los Angeles Times du 20 mai 2007.

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