Numérique: Hollande n'en a pas fini avec le flou artistique

Dans une tribune publiée dans «Le Monde» aujourd'hui, François Hollande renouvelle ses propositions pour l'après-Hadopi.
par Sophian Fanen
publié le 2 mars 2012 à 13h20
(mis à jour le 2 mars 2012 à 14h17)

François Hollande a-t-il besoin de rassurer certaines personnes? C'est l'impression que donne la tribune publiée par le candidat socialiste dans Le Monde datée de demain samedi, disponible depuis ce matin sur le site du quotidien.

Dans ce texte, François Hollande répète ce qu'il avait déjà dit à Nantes en janvier, lors d'un discours sur son programme culturel, et que son équipe de campagne a développé par la suite dans un savant désordre. La semaine dernière, Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin, en charge du programme du PS sur les questions numériques, avaient longuement répondu à nos questions et figé les propositions de leur candidat sur l'après-Hadopi.

C'est ce programme que détaille à nouveau François Hollande. «Il est temps de mettre en œuvre une politique cohérente et juste, dit-il, qui fasse de la révolution numérique un vecteur d'émancipation individuelle et collective.» Tout cela en accord avec le passé de la gauche en matière culturelle, qui est également rappelé: naissance du centre national du cinéma (CNC), prix unique du livre, copie privée...

Plus loin, le candidat du PS détaille les domaines qu'il souhaite intégrer à son «acte 2 de l'exception culturelle» : «Soutien à la production et à la création, gestion collective des droits, adaptation et protection de la chronologie des médias, lutte contre les contrefaçons, rémunération pour copie privée, défense des plateformes numériques innovantes.»

Voilà pour les intentions. Pour l'application concrète, François Hollande reste dans le flou. Il ne mentionne tout d'abord à aucun moment la suppression de la loi Hadopi (le titre de la tribune, «La loi Hadopi doit être repensée» , est du Monde ), qu'il avait pourtant lui-même annoncée à Nantes à l'issue de son discours, et qui a été réaffirmée par Aurélie Filippetti et Fleur Pellerin depuis. Le candidat PS se contente d'énumérer les échecs de la loi qui a créé la Haute autorité: «Elle a coûté cher sans permettre la transition des industries créatives vers le numérique. Elle n'a pas non plus financé de manière probante la création. Et, je l'ai déjà dit, je ne pense pas que la seule répression soit la réponse au problème posé, ni que le système imaginé, par sa complexité et les questions qu'il soulève en matière de protection de la vie privée, soit le bon. Je ne pense pas non plus qu'il faille opposer, comme l'actuel gouvernement le fait depuis cinq ans, les créateurs et leur public. Au contraire, par principe et par vocation, internet est leur espace commun.» En parallèle, il s'agira de «faire participer [au financement de la création] les acteurs internationaux qui bénéficient de la circulation des œuvres de l'esprit.»

Puis vient la partie chargée de rassurer les cercles artistiques proches de l'équipe de François Hollande, et notamment les cinéastes, qui s'inquiètent qu'un monde sans Hadopi soit livré au piratage massif malgré les bonnes intentions en faveur de l'offre légale. Voire pire, à une licence globale. «Pour moi, la protection des auteurs est également prioritaire. Nous ne considérons pas le piratage comme un problème mineur. Nous soutiendrons et rendrons plus efficaces les actions judiciaires visant à tarir à la source la diffusion illégale des œuvres protégées. Nous combattrons ces plateformes délocalisées et incontrôlables qui déversent des contenus culturels sur le réseau sans jamais participer à leur financement.»

Mais ce message est troublé par une phrase glissée un peu plus loin. Acceptant qu'il faudra «tenir compte de l'évolution du cadre européen et prendre des initiatives, en particulier à Bruxelles» , notamment en organisant des «Assises européennes des industries culturelles sur internet» , la tribune de François Hollande estime qu'il faudra aussi «mettre en place les moyens capables d'amener ceux qui utilisent les contenus sans accepter de les payer à contribuer à leur financement» . Ce que l'on peut interpréter comme l'évocation d'une contribution créative versée par les internautes en échange d'une liberté des échanges encore indéfinie. Ou pas. Ou autre chose de pas très clair, ni pour nous, ni, sans doute, pour le candidat.

On retombe là dans les questions soulevées par la première version du point 45 du programme officiel de François Hollande, qui mentionnait «un financement reposant à la fois sur les usagers et tous les acteurs de l'économie numérique» , avant d'être réécrit pour évacuer «les usagers» . Fleur Pellerin avait justifié ce revirement qui écarte tout début d'idée de licence globale, combattue par une bonne partie des lobbys culturels. Elle nous avait ainsi expliqué que «l'article 45 a été réécrit car le mot "usagers" a pu prêter à confusion : les gens comprenaient "internaute". Or un "usager", c'est celui qui utilise, et en l'occurrence qui utilise les plateformes légales. Donc l'idée n'était pas du tout de dire que l'internaute va être mis à contribution ; c'était de dire que les usagers vont participer au financement de la création via les plateformes légales.»

[Mise à jour, 14h]: Le site de campagne de François Hollande reprend la tribune en remplaçant la phrase mentionnant «ceux qui utilisent les contenus sans accepter de les payer» par «préserver et étendre les contributions de ceux qui utilisent les contenus sans accepter de les payer» . Ce qui n'éclaircit vraiment rien...

Cette phrase minée de la tribune de François Hollande, choisie par l'équipe qui a rédigé le texte, est-elle un témoin des débats qui agitent encore le PS en interne sur le sujet ? Quoi qu'il en soit, en voulant rassurer les artistes sur ses intentions pour l'après-Hadopi, François Hollande aura finalement réussi à remettre du flou dans un débat pourtant enfin solidifié dans son camp. Chapeau.

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