On ne s’excuse pas d’avoir rejeté Hadopi

Les députés socialistes responsables du rejet de la loi Création et Internet le 9 avril à l'Assemblée nationale s'expliquent et assument ce geste politique.
publié le 27 avril 2009 à 15h07
(mis à jour le 27 avril 2009 à 15h08)

Ainsi donc des créateurs, qui ont partagé beaucoup des combats de la gauche, participent aujourd’hui au procès fait aux députés qui ont rejeté le projet de loi Hadopi. Nous aurions le tort de considérer que la révolution numérique vaut bien un débat de société. Singulier déni de nos convictions. Nous avons longuement mûri notre réflexion depuis l’échec fracassant de la loi Dadvsi, jamais appliquée. Nous avons accompagné notre travail d’opposition d’une solution alternative. Cette démarche est le contraire d’un «coup» ou d’une concession démagogique aux internautes. Tout simplement, nous ne voulons pas cautionner un système qui oppose les auteurs et leur public, alors même que le projet de loi n’offre pas un euro de plus à la création.

Les pour et les contre Hadopi, il en est désormais partout, parmi les gens de cinéma, de la musique, du livre, au Parlement aussi. Quand une loi déchire et divise avec tant de constance, il est grand temps de se mettre au Net. D’abord, ne soyons pas dupes. Le ministère de la Culture est devenu depuis sept ans le mendiant de la République. Sept ans où l’on a sabré les crédits de la création, étouffé l’éducation artistique, dépouillé l’audiovisuel public des ressources complémentaires de la publicité qui l’aidaient à soutenir la production cinématographique, imposé une taxe compensatoire aux fournisseurs d’accès qui aurait pu servir à la rémunération des auteurs à l’ère numérique. Et ce même Etat voudrait faire croire aujourd’hui que, ajoutant la pénitence d’Hadopi au corset des crédits, il devient un Etat généreux, respectueux de la liberté de créer.

C’est une arnaque pour les artistes. Un trafic de bonne conscience à peu de frais. Les créateurs ne seront pas plus protégés, car le téléchargement continuera sans que la rémunération de leurs droits ne s’améliore. Plus grave, ils auront accepté l’arbitraire d’une loi qui impose une surveillance généralisée de la Toile et qui va priver des milliers de familles du droit devenu fondamental d’accéder à l’Internet parce qu’un des leurs aura téléchargé. Et tout cela sur la décision d’une simple autorité administrative, sans aucune des garanties de la procédure judiciaire. Hadopi, c’est la peur des internautes et c’est un leurre pour les artistes. C’est une ligne Maginot déjà enfoncée et inefficace.

Techniquement tous les moyens existent sur Internet pour la contourner. Juridiquement, les évolutions de la législation européenne la contredisent dans ses fondements. La loi censée défendre l’exception culturelle devient une «loi d’exception» en Europe.

Dès lors, en refusant le fait du prince, comme nombre de députés de la majorité, nous ne comprenons pas en quoi nous devrions demander pardon aux artistes qui nous ont toujours trouvés à leurs côtés dans l’action gouvernementale comme dans nos politiques locales. Nous voudrions juste que ceux qui nous interpellent prennent conscience que voter une loi est un acte plus grave que de signer une pétition. C’est un engagement au service de l’intérêt général dont on doit répondre la tête haute, sans raser les murs.

Lorsque la loi est mal foutue et qu’elle ne règle rien, il vaut mieux que la main du législateur tremble et qu’elle refuse de céder à la politique de «l’Hadopire». On nous rétorque qu’il n’y a pas d’alternative. On refuse même de débattre de notre proposition de «contribution créative» au prétexte qu’elle ne serait pas à la hauteur des enjeux financiers du téléchargement. De qui se moque-t-on ? La redevance de deux ou trois euros mensuels que nous proposons couplée à la réorientation de la taxe sur les FAI générera près d’un milliard d’euros pour rémunérer chaque année les droits d’auteurs, quand Hadopi ne leur rapportera pas un centime. Elle est aussi l’occasion de forcer un dialogue, sans haine, sans anathème, auquel se refusent aujourd’hui l’Etat et les majors, sur les coûts de fabrication et de diffusion des produits culturels.

La civilisation numérique rend possible l’un des rêves de la gauche : l’accès à la culture du plus grand nombre. Elle oblige à repenser un modèle économique périmé, ses règles comme ses financements. Les interdits législatifs que l’on tente de dresser ne font que retarder cette nécessaire mutation. Voulons-nous la subir ou la conduire ? Voulons-nous assurer la liberté des créateurs comme des internautes ou que tout le monde soit perdant ? Voulons-nous que la culture soit une exception ou une marchandise ? En conscience, nous avons choisi. Sans remords ni renoncement.

Article paru dans Libération du 27 avril 2009

Jean-Marc Ayrault, Patrick Bloche, François Brottes, Corinne Erhel, Michel Françaix, Jean-Louis Gagnaire, Didier Mathus, Sandrine Mazetier, Christian Paul et tous les députés socialistes.

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