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Libération

«On nous incite à regarder notre présent comme un futur passé»

par Erwan Cario
publié le 12 avril 2012 à 12h49

Théoricien des médias sociaux, Nathan Jurgenson est étudiant-chercheur en sociologie à l'université du Maryland. Il s'est fait remarquer en 2011 en publiant sur le Net un essai brillant sur la «photo faux vintage» ( traduction en français ici ) et la «nostalgie du présent» qu'elle permet.

Le rachat d'Instagram et la nouvelles présentation des pages facebook sous la forme de Journal relèvent-elles de la même logique ?

_ Ce rachat ne répond pas uniquement à une logique économique de la part de Facebook, mais aussi à une logique existentielle. Oui,Facebook essaie de gagner plus d’argent, et il le fait en essayant de creuser le plus profondément possible dans nos vies, en jouant sur la corde sensible, sur nos souvenirs, notre passé, notre sens de la nostalgie et de l’authenticité. L’analyse ne peut pas être simplement financière, elle doit être aussi culturelle. C’est la culture et l’individu qui en est le centre qui constituent le minerai que Facebook cherche à extraire pour faire des profits.

Que vient faire Instagram dans ce schéma ?

_ Le Journal ou les filtres vintage semblent simples, mais l’objectif est de doter ces technologies d’une certaine profondeur. En voyant une vie s’afficher à travers le temps, avec ces souvenirs importants qui sont mis en avant et ces relations passées qui reviennent en lumière, on commence à doter Facebook d’une âme. Le site devient plus «réel», et ne craint alors plus d’être juste virtuel, pour ses utilisateurs. C’est le but de Zuckerberg. Et c’est aussi ce qu’Instagram a réussi à mettre en place : en permettant de voir nos propres vies dans le présent comme étant quelque chose dont on peut être nostalgique, Instagram nous a convaincus que nos vies étaient authentiques et importantes. Cette capture de l’authenticité et cette nostalgie de notre présent, qui sont les spécialités d’Instagram, sont exactement ce dont Facebook a besoin. Cette union est naturelle.

Que devient notre relation au temps et à la mémoire ?

_ On nous incite à regarder notre présent comme un futur passé. Nous voyons le monde dans le présent comme un moment potentiel dans notre Journal Facebook, même lorsque nous sommes déconnectés. Cette documentation permanente, sous la forme de statuts, de mises à jour, de photos, de check-in [géolocalisation, ndlr] donne à notre vie présente une aura d’importance. En tant qu’élément de notre Journal, on peut s’en souvenir, mais s’il y a en plus cette lueur datée et familière du faux vintage, alors on doit s’en souvenir.

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