OpenStreetMap, le wiki distribue les cartes

Le site collaboratif s’appuie sur les internautes pour proposer des cartographies évolutives libres de droits.
par Camille Gévaudan
publié le 5 juillet 2011 à 17h26

Un point de départ et un point d’arrivée font un chemin. Un chemin associé au mot-clé «highway» devient une route, et deux routes croisées forment un carrefour. Une ligne, puis une autre, et enfin une troisième qui rejoint la première et voilà un bâtiment. Quelques clics plus tard, le plan d’un pâté de maisons prend forme à l’écran. Et après ? Quand on a si facilement redessiné son quartier sur un ordinateur, sans aucune connaissance ni expérience particulière dans le domaine de la cartographie, pourquoi ne pas s’attaquer à une ville entière, une région, ou même la planète ? Pas tout seul, bien sûr. Mais en joignant les forces de millions d’internautes, l’idée n’est pas irréalisable. C’est même l’objectif très sérieux d’OpenStreetMap (OSM pour les intimes), projet collaboratif qui rassemble aujourd’hui plus de 420 000 cartographes amateurs à travers le Web.

OpenStreetMap s’apparente à Wikipédia dans bien des aspects : fondé en 2004 à l’initiative des internautes et reposant sur leurs seules épaules, il poursuit le but pour le moins ambitieux de rassembler toutes les connaissances possibles dans un même lieu virtuel – une encyclopédie pour l’un, une base de données géographiques pour l’autre. Le résultat s’apprécie sur le site Openstreetmap.org, sous forme d’une carte interactive telle qu’on a l’habitude d’en voir sur Google Maps ou ses concurrents. C’est d’ailleurs la question récurrente que doivent affronter les contributeurs du projet : pourquoi se rendrait-on sur le site OpenStreetMap alors que Google propose la même chose ? La réponse est juridique. Très simple à comprendre, mais encore méconnue du grand public. Comme Wikipédia, OpenStreetMap publie ses données géographiques et l’œuvre composite qui en est tirée, la carte, sous une licence dite libre (l’Open Database License, ou ODbL) qui autorise leur reproduction, leur modification et leur redistribution sans autorisation préalable ni droits à payer - même pour un usage commercial. «Le côté libre et gratuit est très important, explique Pieren, contributeur régulier et prolifique. L’information géographique devrait appartenir à tout le monde et être du domaine public.» Comme lui, de nombreux cartographes amateurs sont des «libristes» convaincus (beaucoup utilisent le système d’exploitation libre Linux sur leur ordinateur) qui se sont lancés dans l’aventure OSM par amour du libre partage et militantisme anticopyright. En France, par exemple, l’IGN (Institut géographique national) qui a pour mission d’«assurer la production, l’entretien et la diffusion de l’information géographique de référence» est un établissement public à caractère administratif. Mais ses cartes sont protégées, et leur usage est payant. Pieren estime qu’il «n’est pas normal que l’IGN ne soit subventionné qu’à 60% et doive vivre en faisant payer quelque chose déjà financé par l’impôt. Nous remplissons une mission de service public en comblant l’absence de gratuité de l’IGN.»

Grâce à cette licence libre et cette gratuité, les réutilisations des cartes OpenStreetMap sont innombrables. On les croise par exemple sur Wikipédia, illustrant les articles sur des lieux. Certaines communes comme celle de Plouarzel, en Bretagne, ont organisé elles-mêmes des «carto-parties» avec des habitants volontaires pour disposer d’une carte «faite à la maison». Elle est ensuite intégrée au site Internet de la ville, imprimée en bonne qualité pour l’Office du tourisme, déclinée en cartes thématiques pour mettre en valeur le patrimoine historique, ou les pistes cyclables...

De même, on ne compte plus les sites et applications pour smartphones qui se basent sur les cartes OSM pour fournir un service spécialisé : plan des pistes de ski, carte des mers, des transports publics, des équipements urbains «accessibles» pour malvoyants ou personnes à mobilité réduite… Ces applications tirent parti de l’extrême précision de certains plans de ville, complétés de manière quasi exhaustive par leurs habitants les plus motivés : on y trouve la localisation exacte des passage piétons et de leurs bandes podotactiles, ou encore des feux de signalisation et de leurs haut-parleurs. Et on peut, bien sûr, télécharger des extraits de la carte OSM directement dans son GPS (à condition qu’il soit compatible, comme ceux de la marque Garmin) pour éviter de payer les logiciels préintégrés au GPS et leurs coûteuses réactualisations annuelles. Des contributeurs profitent ainsi personnellement de leur travail. Christophe Merlet, l’un d’entre eux, aime «la surprise de tomber sur des zones qu’[il a lui-même] «mappées» et qui sont infiniment plus précises que toutes les autres cartes». Sur son GPS, un autre, Arnaud Corbet, se dit impatient de rouler sur «ses» routes.

Ce succès doit beaucoup à la simplicité d’utilisation du projet. Nul besoin d’être connaisseur pour apporter sa pierre : beaucoup de contributeurs se disent simplement passionnés de cartes depuis leur enfance. «A 10 ans, je décalquais déjà les contours des départements dans l’encyclopédie Larousse du XXe siècle, raconte Denis. Depuis, j’ai compris qu’il y a des copyrights !» Ses compétences techniques n’ont pas beaucoup évolué depuis lors : en fait, «il suffit d’une paire d’yeux pour décrire nos territoires quotidiens, parce que personne ne le fera mieux que nous». Repérer la boulangerie de son quartier, la boîte aux lettres et le dos-d’âne du coin de la rue suffisent pour faire ses premiers pas. On peut utiliser un logiciel comme JOSM, austère au premier abord mais plutôt convivial, pour placer ses «points d’intérêt» (POI) sur la carte. Ou, comme sur Wikipédia, cliquer sur l’onglet «modifier» du site Openstreetmap.org pour bidouiller la carte. Les plus aventuriers emmènent leur GPS en vacances pour enregistrer leurs déplacements et importer ensuite les «traces» dans le logiciel d’édition. Ne reste qu’à les transformer en ways (chemins) et définir leur nature grâce aux mots-clés : rivière, route principale, rue résidentielle, frontière départementale… Ou, infiniment plus simple : on décalque les images satellite des entreprises qui l’ont autorisé, comme Yahoo ou Microsoft, en visant l’exhaustivité. L’activité est agréablement chronophage, comme un jeu, et très valorisante. «Quand les gens à qui on montre des parties de la carte particulièrement fournies sont stupéfaits, conclut Renaud Martinet, on se dit qu’on est sur le bon chemin.»

OpenStreetMap a connu son heure de gloire l’an dernier, après le violent séisme qui a secoué Haïti. La communauté OpenStreetMap et le groupe Crisis Mappers ont lancé un appel à contributions sur la carte de Port-au-Prince. La réponse fut immédiate et massive. En deux jours, plus de 800 modifications ont été effectuées et le plan de la ville est passé du stade d’ébauche à un époustouflant niveau de précision, bien supérieur à celui de Google Maps par exemple. La majorité des «mappeurs» a dessiné les routes, chemins et bâtiments de la ville depuis leur ordinateur personnel, à partir de vieilles cartes de la CIA et de l’imagerie satellite de Yahoo. Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (qui dépend de l’ONU) a demandé aux personnes présentes à Port-au-Prince de relever l’emplacement de «tous les campements de fortune, avec indication de leur taille».

Faute de mot-clé prévu pour les camps de réfugiés, les mappeurs ont utilisé celui des campings touristiques pour que les moteurs de rendu de la carte sachent correctement l’interpréter et affichent une petite icône de tente. Grâce à ces informations, la carte de Port-au-Prince a notamment été utilisée par le Programme alimentaire mondial pour dresser un état des lieux détaillé des camps de fortune et des bâtiments détruits ou abîmés. «OpenStreetMap a sauvé des vies», a conclu John Crowley, de l’initiative humanitaire d’Harvard, lors d’un compte-rendu sur la gestion de crise en Haïti. En avril dernier, un rapport de l’ONU reconnaît qu’OpenStreetMap a joué ces jours-là «un rôle crucial».

Paru dans Libération le 1er juillet

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